LE CAP DES 200 KM/H
A la veille de la Première Guerre mondiale, les avions Déperdussin remportèrent quatorze records du monde de vitesse
Né à Paris, en 1869, Armand Déperdussin eut une jeunesse difficile, sur laquelle on connaît peu de chose. On sait qu'il fut « aboyeur » pour le compte des frères Lumière, qui présentèrent pour la première fois leur invention au public le 28 décembre 1895. En 1900, il vivait en Belgique, où il travaillait dans le textile.
L'année suivante, ayant quitté Bruxelles pour Paris, il devint placier en soieries pour le compte d'une entreprise de la rue des Jeûneurs. Petit à petit, Déperdussin amassa une coquette somme, qu'il investit dans diverses affaires (en avance sur son temps dans tous les domaines, il fonda même un institut thérapeutique où l'on soignait à l'air chaud).
Sa fortune continuant de s'arrondir rapidement, il acheta bientôt deux usines l'une située, rue des Entrepreneurs (elle devait être le berceau des célèbres aéroplanes portant son nom), l'autre à Juvisy, puis créa trois écoles de pilotage : à Courcy (près de Reims), à Ambérieu (dans l'Ain) et à Pau.
Le principal facteur de sa réussite tient au choix judicieux de ses collaborateurs. C'est ainsi qu'il était secondé par Béchereau, qui fut à l'origine de la construction de la plupart des avions Déperdussin. Ingénieur des Arts et Manufactures d'Angers, ce dernier fut lui-même assisté dans sa tâche par deux autres ingénieurs des Arts et Manufactures : Henri Papa et Léon Besnard.
Faisaient également partie de l'équipe Déperdussin : Laval, ingénieur-conseil, Colombel, également ingénieur, Védrines, pilote, Aubrun, également pilote puis directeur des écoles, Vidart, Laurens et Busson, respectivement chefs pilotes à Ambérieu, Courcy et Pau.
Armand Déperdussin n'acquit véritablement la notoriété qu'en 1910, lorsqu'un avion portant son nom fut exposé pour la première fois au Salon de l'aéronautique. Jusque-là le grand public n'avait de lui que l'image d'un généreux mécène : il avait, en effet, offert un prix de 25 000 francs au constructeur du monoplan français qui, avant la fin de l'année 1910, aurait réalisé le meilleur temps sur 100 km avec un passager.
Dès Noël 1909, Déperdussin avait pourtant exposé un avion du type canard dans les magasins du Bon Marché. Conçu par un ingénieur du nom de Feure, cet appareil n'avait eu que peu de succès.

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Dans l'un des ateliers du constructeur, l'assemblage du Déperdussin type 1911 avec lequel Védrines battit la même année un premier record de vitesse. Armand Déperdussin (en médaillon) fut un inconditionnel du monoplan en des temps où la majorité des pionniers persévéraient dans la formule biplan (photos Harlingue-Viollet).
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C'est sous l'impulsion de Béchereau que prit véritablement son essor la Société pour la production des avions Déperdussin, avions qui devaient s'illustrer sous le sigle SPAD (et auxquels sera consacré un article spécial). Sous sa direction, les usines Déperdussin sortirent une centaine d'avions construits de façon quasi artisanale (il n'y eut pas à proprement parler de fabrication en série).
Dans l'ensemble, leurs productions répondaient surtout aux exigences de l'armée, principal client de la firme. Outre les avions de type militaire, la plus grande réussite de ce constructeur fut le « monocoque » version terrestre et maritime mis au point par Béchereau. Tous s'illustrèrent d'ailleurs dans les concours de l'époque.
Le premier appareil exposé au Salon fut admiré surtout pour son élégance. Il fut produit sous huit versions différentes en 1911 et quatre autres en 1912; elles différaient surtout par leurs dimensions. L'hélice bipale remplaça bientôt celle à six pales sur tous les types.
La puissance des moteurs variait entre 40 ch et 100 ch; diverses marques furent utilisées avant qu'une nette préférence se dessinât en faveur des Gnome rotatifs. La configuration de la plupart des avions Déperdussin était liée au fait que l'industriel entendait les faire participer aux différents concours de l'époque, les concours militaires en particulier.
Les avions de compétition devaient en effet pouvoir emporter trois passagers. Les types M (militaires) dérivaient directement des types d'origine A et B. Il exista trois monoplans monomoteurs à trois places destinés aux concours militaires. Le premier, caréné, était un triplace en ligne (le pilote était placé à l'arrière) équipé d'un Clerget de 100 ch; son poids atteignait 950 kg. Le deuxième avait un moteur Anzani
de 80 ch et
son poids total était de 835 kg.
Le troisième ne différait du précédent que par son poids (950 kg) et son moteur, un Gnome rotatif de 100 ch. Ses dimensions étaient les mêmes : 8,90 m de long, 12,50 m d'envergure et 29 m2 de surface portante. Lors du concours militaire, Prévost se classa troisième sur l'appareil doté du 100 ch Gnome après avoir couvert la distance Reims-Amiens à la vitesse de 89,500 km/h. Cette performance valut à Déperdussin
une commande de
l'État portant sur quatre appareils, au prix unitaire de 40 000 francs. Trois autres prototypes du type B (des biplaces équipés du Gnome) furent également construits en 1911.
La firme participa d'ailleurs à presque tous les concours qui eurent lieu cette année-là. S'étant classé troisième dans la course Paris-Rome, Vidart remporta les trois premières épreuves dans le Circuit européen et termina troisième dans le Circuit des capitales. Busson, quant à lui, s'adjugea là plupart des records de vitesse et de durée avec passager. Prévost, de son côté, battit le record d'altitude avec passager
le 2 décembre
1911.
Les Déperdussin figurèrent également en bonne place aux meetings de Nancy, de Normandie et de Bretagne et gagnèrent le concours militaire de Grande-Bretagne. Ayant parcouru avant le 30 avril le plus long trajet aérien en une journée, Busson remporta également la Coupe Pommery à bord d'un monoplace doté d'un moteur Gnome de 50 ch. Prévost fut encore le premier pilote à joindre Paris-Londres en une seule journée.
C'est en 1912 que Déperdussin construisit son premier monocoque, un appareil sur lequel tout avait été étudié pour en faire un avion de vitesse. Il sortit des ateliers à la veille du Circuit d'Anjou, en juin 1912. Sa caractéristique principale était une carapace constituée par l'enroulement de bandes de bois sur un moule et renforcée dans les parties recevant le bâti-moteur et d'autres organes.
Béchereau y introduisit également un appui-tête, en forme de demi-cône raccordé à la coque. Cherchant à améliorer l'aérodynamique de l'appareil, Béchereau mit au point le carénage des roues et le dota de radiateurs tubulaires. Les ailes, de faible courbure et fort minces, étaient extrêmement solides en dépit des apparences.
Le groupe motopropulseur, de 80 ch à 100 ch, actionnait une hélice Chauvière en prise directe. Le moteur, qui, dans un premier temps, tourna dans un capot semi-circulaire raccordé aux ailes, fut ensuite entièrement caréné. Le prototype de départ avait une envergure de 7 m pour une longueur de 6,25 m. Le monocoque Béchereau-Déperdussin fut aussi remarqué dans la version terrestre que dans la version hydroaéroplane,
dont la voilure
avait été renforcée.

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c'est encore en 1913 que, sur un hydravion à flotteurs Déperdussin équipé d'un moteur Gnome de 250 ch, Prévost remporta la première Coupe Schneider en parcourant en 2 h 50 mn les 280 kilomètres du circuit de Monaco (photo Coll. Dominique Pascal).
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Les flotteurs, du type catamaran, mesuraient 4 m de long sur 1,10 m de large au maître couple. La flottabilité de l'ensemble atteignait 2,600 kg pour un poids de 160 kg. L'appareil possédait un flotteur auxiliaire situé à l'arrière, sous l'empennage. Le moteur était un Gnome de 160 ch. L'envergure de l'hydroaéroplane était de 13,50 m pour une longueur totale de 9 m, un poids de 1 300 kg en ordre de marche et de
650 kg à vide.
C'est avec l'un de ces monocoques que, en 1912, Védrines remporta les éliminatoires françaises de la Coupe Gordon-Bennett (qui cette année-là se déroulait aux États-Unis) en atteignant 170 km/h sur circuit de 10 km. Il fut vainqueur de la finale en couvrant la distance de 200 km à la vitesse de 169 km/h. En 1912, les hydroaéroplanes figurèrent également en bonne place au meeting de Saint-Malo et à celui de Tamise,
en Belgique.
En 1913, Prévost enleva la Coupe Schneider en parcourant en 2 h 50 mn les 280 km du circuit de Monaco. L'appareil avait été adapté aux conditions particulières de l'épreuve (il devait notamment pouvoir emporter 450 litres de carburant). Cette même année 1913, la Coupe Gordon-Bennett fut organisée dans la plaine de Reims les 27, 28 et 29 septembre.
A cette occasion Prévost atteignit la vitesse de 200 km/h sur un monocoque légèrement transformé : ses ailes avaient été raccourcies d'une vingtaine de centimètres, son profil rendu plus épais à l'arrière vers le second longeron, et surtout il était équipé du système d'appui-tête se raccordant au fuselage spécialement mis au point par Béchereau.
Le monocoque de Prévost avait ainsi une envergure de 6,60 m pour une longueur totale de 6,20 m. Son poids était de 450 kg à vide et de 615 kg en charge. Il était propulsé par un moteur Gnome de 160 ch. La casserole de l'hélice Chauvière (d'un diamètre de 2,33 m) avait été rendue plus proéminente pour diminuer la résistance à l'air du rotatif.
Si l'année 1913 marque véritablement l'apogée de la SPAD, elle voit également la banqueroute de son fondateur. Prenant sa revanche sur une jeunesse difficile, amateur de jolies femmes, ce dernier menait grand train. Sa prodigalité, conjuguée à son bon coeur c'est ainsi qu'il donna 500 000 francs à Aubrun pour qu'il pût acheter le terrain d'aviation de Béthény, évitant à celui-ci de tomber entre les mains
d'acquéreurs étrangers
, le conduisit rapidement à la faillite.

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merveille aérodynamique et projection sur l'avenir, le monocoque Déperdussin avec lequel le pilote Maurice Prévost remporta en 1913 la Coupe Gordon-Bennett à la moyenne « fantastique de 200 km/h. Cet appareil inspira une nouvelle génération de chasseurs au cours de la Première Guerre mondiale (photo Coll. Viollet).
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En 1913, alors que la SPAD enregistrait un bénéfice de 1 million de francs, les dettes contractées par Armand Déperdussin s'élevaient à 28 millions. Traduit en justice et condamné à cinq ans de prison malgré les témoignages en sa faveur de tous les employés de la firme , il fut libéré pour « services rendus à l'aéronautique ». Néanmoins, réduit à la misère, il se suicida le 11 juin 1924.
La SPAD, mise sous séquestre, puis rachetée par Blériot, devint la Société anonyme pour l'aviation et ses dérivés; sous la direction de l'ingénieur Herbe-mont, elle poursuivit ses activités jusqu'à sa nationalisation, en 1936.
Bien que sa carrière ait été éphémère, le nom de Déperdussin n'en reste pas moins lié aux progrès les plus marquants réalisés entre 1910 et 1914 dans le domaine des hautes performances. Les quatorze records du monde remportés par les SPAD l'attestent. Au procès, Védrines ne devait-il d'ailleurs pas déclarer : « Messieurs, si nous avons aujourd'hui un avion de chasse, c'est grâce à lui! »
Ce mercredi 11 juin 1924 marque la fin tragique d’une figure emblématique de l’aéronautique, à savoir Armand Deperdussin, mort à l’hôpital Lariboisière à 10 heures du matin, après y avoir été transporté suite à une tentative de suicide.
Le malheureux qui avait connu la gloire et l’argent, indéfectible mécène de l’aviation naissante, s’est mis un coup de revolver dans la tête, au terme de plusieurs années de très gros soucis avec la justice française. Son ascension fulgurante dans les affaires cachait, en partie, quelques manœuvres pas très avouables. En effet, Armand Deperdussin était accusé de détournement de fonds et d’être à l’origine d’une escroquerie évaluée à 28 millions de francs !
Après quatre ans de prévention, Armand Deperdussin obtient le sursis pour les cinq ans de prison qu’il encourrait. Une descente aux enfers, débutée en 1913 avec son arrestation, et la crainte d’une vie de misère ont entraîné ce dernier geste irréversible du célèbre constructeur d’avions, qui après l’opulence, meurt dans une très grande précarité.
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