Truie Sauvage
Les Exploits de la truie sauvage
La grande offensive de nuit lancée par les bombardiers de la Royal Air Force contre l'Allemagne donna aux belligérants l'impulsion nécessaire au développement d'avions spécifiquement conçus pour les combats nocturnes.
Au milieu de l'année 1941, la force allemande de chasse de nuit n'était encore constituée que de cinq Gruppen, dont quatre volaient sur Messerschmitt Bf 110. Entre-temps, Kammhüber avait fait établir un cordon de radars terrestres qui s'étendait depuis la frontière suisse jusqu'au nord du Danemark.
Chaque station disposant de deux radars Giant Wurzburg, l'un qui poursuivait l'attaquant ennemi et l'autre qui maintenait le contact avec le chasseur allemand dont le pilote recevait par radio des instructions destinées à le guider jusqu'à ce qu'il soit en vue de son objectif ; cette tactique était appelée le « système Himmelbett ».
Des essais sur les radars
Pendant l'année 1941, les Allemands progressèrent très lentement dans le développement des radars aéroportés ; ils avaient dans ce domaine presque deux ans de retard sur les Britanniques.

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Ce He 219A-5/R1 immatriculé G9 + FH était mis en oeuvre au sein de la NJG 1 durant les dures batailles de 1944. L'appareil est doté d'un radar Streuwelle IV dans le nez.
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En fait, ils se livraient à des essais avec des Bf 110 munis d'un système de détection à infrarouges (Spanner Anlage), mais cet équipement se révéla beaucoup trop difficile à utiliser et fut bientôt abandonné. La firme Telefunken fut alors chargée de réaliser un radar de bord au cours du printemps de 1941 et, en
août de la même année, le premier appareil de ce type, le Liechtenstein BC, subissait des essais en vol ; d'une portée de l'ordre de 3 700 m, ce radar entra en service en février 1942. A cette date, la force allemande de chasse de nuit comprenait désormais trois Nachtjagdgeschwader équipés de quelque 180 Bf 110, 60 Tu 88 et 20 Dornier Do 217; tous ces appareils, sauf une trentaine, furent utilisés pour défendre le Reich
contre les bombardements.
Jusqu'alors, les premiers radars s'étaient révélés si peu satisfaisants que, parmi les pilotes de chasse de nuit allemands, quelques-uns seulement avaient réussi à se faire un nom; le Hauptmann Ludwig Becker, appartenant au II./NJG 1, était, avec 25 victoires, le plus brillant de ceux-là.
L'année 1942 fut capitale pour le Bomber. Command de la RAF, alors sous le commandement de sir Arthur Harris, avec le premier « raid des mille » contre Cologne, Essen et Brême, l'apparition des bombardiers Avro Lancaster et De Havilland Mosquito, la première mise en oeuvre de la bombe de 3 629 kg et la constitution de la Pathfinder Force ; le poids total des bombes larguées sur les villes industrielles allemandes tripla
cette année-là.
Confrontée à l'effrayante perspective de voir l'Allemagne détruite par ces attaques nocturnes, la Luftwaffe redoubla d'efforts pour perfectionner ses chasseurs de nuit qui, au début de 1943, étaient tous dotés du Liechtenstein BC ou du radar simplifié FuG 212 C-1.
Jusque-là, presque tous les bombardiers Mosquito de la RAF étaient sortis indemnes de leurs opérations au-dessus de l'Europe continentale, car aucun chasseur de nuit de la Luftwaffe n'était capable de performances qui puissent se comparer à celles du remarquable bombardier léger britannique.
Le 15 novembre 1942, cependant, le prototype d'un nouveau chasseur de nuit allemand conçu exclusivement pour effectuer des interceptions nocturnes, le Heinkel He 219, vola pour la première fois ; quelques exemplaires de ce modèle entrèrent en service au mois d'avril 1943 dans une unité de la Luftwaffe basée à Venlo (Pays-Bas).
Lors de son premier engagement, le He 219 piloté par le Major Werner Streib, au cours d'une attaque contre une vague de bombardiers de la RAF se dirigeant sur Düsseldorf dans la nuit du 11 au 12 juin, détruisit six quadrimoteurs adverses en l'espace de trente minutes avec ses six redoutables canons.
Ce fut Streib, plus encore que Kammhüber, qui permit à la chasse de nuit allemande de devenir un corps organisé et efficace, car il devait exercer les fonctions d'inspecteur de la chasse de nuit pendant la dernière année de la guerre.

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Les chasseurs de nuit de la lutfwaffe ont arboré une grande variété de camouflages, comme celui revêtant ce junker Ju 88G-6B immatriculé 9W+CL de la I/NGJ 1, stationnée à Ingolstad à la fin de l'année 1944.
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En outre, alors qu'il avait déjà remporté le 20 juillet 1940, la première victoire nocturne obtenue par la Luftwaffe, il prit ensuite la tête du NJG 1, et c'est à lui personnellement que la chasse de nuit allemande fut redevable de l'adoption de ses meilleurs tactiques et de ses équipements les plus performants. Bien qu'il ait successivement occupé plusieurs postes d'état-major, il atteignait à la fin du conflit un total de 65 victoires nocturnes et avait reçu des décorations prestigieuses.
Au cours de leurs premières nuits d'opérations, les quelques Heinkel He 219 basés à Venlo réussirent à détruire vingt bombardiers britanniques, dont six Mosquito. Ce fut à ce stade de la guerre nocturne que le Bomber Command de la RAF, confronté à des pertes catastrophiques, mit en service les Window, ces bandelettes métalliques qui, larguées par les bombardiers à l'approche de la côte allemande, constituaient une masse énorme de faux signaux qui saturaient complètement les écrans des radars ennemis; pendant la bataille de Hambourg, qui dura du 24 juillet au 3 août 1943, les Window rendirent impossible le contrôle serré des chasseurs de nuit.
Des tactiques improvisées
Les Allemands devaient maintenant improviser rapidement, et ils inventèrent deux tactiques de lutte nocturne, l'une qui reposait sur le contrôle rapproché des chasseurs,et l'autre sur des opérations d'interception indépendantes, ces systèmes furent respectivement appelés Zahme Sau (Truie apprivoisée) et Wilde Sau (Truie sauvage).
La tactique de la Zahme Sau, préconisée par l'Oberst von Lossberg, consistait simplement à fournir par radio aux chasseurs de nuit en patrouille des informations continues sur la position et la route des bombardiers ennemis; les pilotes allemands tentaient alors de s'infiltrer par leurs propres moyens dans la vague des assaillants, qu'ils attaquaient du mieux qu'ils pouvaient entre les nuages de Window.
La tactique de la Wilde Sau, réalisable seulement si la lune donnait une clarté suffisante, impliquait la mise en oeuvre nocturne de chasseurs de jour monoplaces; un nouveau Jagdgeschwader, le JG 300, fut créé sous le commandement du Major Hajo Hermann, l'initiateur du système; à la suite des succès considérables qu'elle remporta en 1943, cette unité fut élargie pour devenir la Jagddivision 30, qui comprenait les JG 300, 301 et 32.

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Ce Fw 190A-6/R11 fut piloté par l'Oberleutnant Krause de la 1NJGr10.Remarquer l'emblême de la truie sauvage sur le nez de l'appareil.
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Cependant, malgré l'efficacité de cette tactique, la fatigue physique et nerveuse qu'elle imposait aux pilotes étaient trop importante, et les pertes parmi les Messerschmitt Bf 109G et les Focke-Wulf Fw 190A engagés contre les grands quadrimoteurs ennemis, prirent des proportions alarmantes, du fait de l'usure excessive des appareils qui participaient également aux combats contre les bombardiers de jour américains.
Avec l'arrivée de l'hiver, les mauvaises conditions atmosphériques causèrent beaucoup d'accidents, et le nombre des opérations effectuées par ces avions baissa peu à peu, sauf quand le temps était particulièrement favorable.
Dans l'intervalle, la Luftwaffe avait adopté d'autres tactiques et des équipements nouveaux pour compenser la paralysie des systèmes de défense causée par le brouillage de la RAF. Ils armèrent d'abord le Bf 110, le Ju 88 et le He 219 de deux canons de 20 mm conçus par un armurier du II./NJG 5, Paul Mahle, montés à mi-longueur du fuselage et qui pouvaient tirer obliquement vers l'avant et vers le haut à un angle de 70° à 80°.
Ce système d'armes, connu sous la désignation de Schrâge Musik, permettait au chasseur de nuit qui s'était rapproché du bombardier ennemi par l'arrière de se placer sous l'objectif et de viser ses moteurs et ses réservoirs de carburant. Il fut utilisé pour la première fois avec succès par le Gefreiter Hôlker, du 5./NJG 5, qui descendit deux bombardiers lourds le 17 août.
Peu de temps après, le Leutnant Peter Ehrardt en détruisit quatre autres en l'espace de trente minutes. L'attaque venant pour eux d'un angle mort, les équipages de la RAF mirent très longtemps à percer à jour la tactique meurtrière des Allemands ; les bombardiers britanniques continuèrent donc à opérer au-dessus du Reich sans disposer d'armes en position ventrale.
Les avions de la Luftwaffe possédaient une autre capacité insoupçonnée de la RAF, celle de se diriger sur les appareils ennemis grâce aux signaux émis par le radar britannique de bombardement sans visibilité H2S. En fait, comme beaucoup d'équipage branchaient ce dispositif comme système d'aide à la navigation au moment où ils décollaient pour un raid, les chasseurs de nuit allemands étaient déjà souvent bien infiltrés dans le flot des attaquants avant que ceux-ci aient commencé à larguer leur Window.
Beaucoup plus tard, les bombardiers britanniques se mirent à emporter un nouveau matériel baptisé Monica et destiné à signaler les chasseurs de nuit adverses approchant par l'arrière; ce fut alors au tour des Allemands de mettre au point le radar FuG 277 Flensburg, qui guidait automatiquement leurs avions vers le Monica!
De très nombreux pilotes allemands se distinguèrent dans ce type de lutte nocturne pendant qu'au-dessous d'eux leur patrie était la proie des flammes. Le Hauptmann Manfred Maurer, qui vola sur He 219 au sein des NJG 1 et 5 pendant la seconde moitié de l'année 1943, détruisit trente Halifax et Lancaster.

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Ce Bf 110G-2 de la 12/NJG3, propulsé par 2 moteurs Daimler-Benz DB 605B-1, ne possédait pas de radar. Il stationnait sur la base de Stavanger jusqu'aux derniers jours de mai 1945. La Norvège fue le dernier pays à être sous le contrôle des autoritées du IIIè Riech.
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La série des victoires multiples, c'est-à-dire obtenues au cours d'une seule opération, avait commencé dès le début de la guerre nocturne, le premier aviateur à descendre cinq quadrimoteurs en une nuit étant le Hauptmann Reinhold Knacke, qui réalisa cet exploit le 17 novembre 1942, alors qu'il était Staffelkapitàn du 3./NJG 1.
Le premier à remporter six victoires fut le Hauptmann Herbert Lütje, Staffelkapitàn du 8./NJG 1, au cours d'une mission au-dessus de la Ruhr dans la nuit du 13 au 14 mai 1943. Deux mois plus tard, le célèbre Major Heinrich Prinz zu SaynWittgenstein abattit sept appareils ennemis en une seule nuit ; il détruisit également six bombardiers lourds de la RAF au-dessus de Berlin dans la nuit du ler au 2 janvier 1944, mais, le 21 du même mois, après avoir descendu cinq bombardiers, il fut lui-même abattu et tué par un Mosquito britannique.
Avec un total de 83 victoires nocturnes (dont 29 furent obtenues sur le front de l'Est), le prince Heinrich occupa la troisième place dans le palmarès des pilotes de chasse de nuit (après Schnaufer et Lent) et fit l'objet de très hautes distinctions.
Le plus brillant des as de la Luftwaffe qui remportèrent des victoires multiples de ce type fut le Hauptmann Martin Becker, du I./NJG 6 : il gagna six combats au-dessus de Francfort dans la nuit du 23 mars 1944, puis sept autres au cours du raid désastreux de la RAF sur Nuremberg une semaine plus tard seulement ; il battit ensuite son propre record le 14 mars 1945 au-dessus de Wuppertal, en abattant neuf appareils ennemis.
Le meilleur de tous les pilotes de chasse de nuit allemands fut le Major Heinz Wolfgang Schnaufer, qui fut transféré dans le Nachtjagdverband à une période relativement tardive du conflit, au printemps de 1942. Pendant sa première année au sein du II./NJG 1, il ne réussit à détruire que vingt et un appareils de la RAF, mais, dans les deux dernières années de la guerre, il en abattit exactement cent autres.
Son opérateur radio, Fritz Rumpelhardt, participa à tous ces combats, et son mitrailleur, Wilhelm Gànsler, à 98 d'entre eux; Schnaufer obtint ce total de 121 victoires au cours de 164 sorties seulement.