Un an avant l'entrée en guerre des États-Unis, de jeunes volontaires américains combattent aux côtés des Britanniques dans les squadrons de chasse de la Royal Air Force
L'origine des trois « squadrons des Aigles » de la Royal Air Force doit être recherchée dans le combat désespéré que livra la Grande-Bretagne dans son propre ciel en 1940 et auquel on donna par la suite le nom de « bataille d'Angleterre ».
La marche conquérante des troupes allemandes à travers l'Europe, qui avait entraîné le brusque effondrement d'une demi-douzaine de nations, dont la Pologne et la France, avait sidéré et traumatisé une partie des jeunes du monde libre, y compris, évidemment, ceux de l'Empire britannique.
C'est en GrandeBretagne également que se rendaient les nombreux Français, Tchèques ou Polonais qui, souvent en bravant les plus graves dangers,réussissaient à quitter leur pays tombé sous la férule allemande.
Au cours de l'été 1940, un certain nombre de jeunes Américains, pilotes privés ou amateurs, cherchaient à gagner la Grande-Bretagne. Certains franchissaient simplement la frontière canadienne afin de s'engager dans la Royal Canadian Air Force, espérant se faire transférer plus tard en Angleterre; d'autres s'embarquaient directement à destination de l'Europe à bord de navires marchands, et ce en dépit de la menace que faisaient
peser sur la navigation les sous-marins allemands, alors au faîte de leur puissance.

|
le Pilot Officer Chesley Peterson, qui commanda le Squadron 71, puis le 4th Fighter Group, photographié avec son Hurricane
|
Arrivés en Grande-Bretagne, ces garçons se rendaient directement à l'ambassade des États-Unis à Londres pour demander l'autorisation de s'engager, en tant que sujets étrangers, dans l'armée britannique afin d'y servir en opérations.
Cependant, les États-Unis se tenant alors à l'écart du conflit européen et maintenant - du moins en paroles - une neutralité souvent démentie par les actes, ce genre d'autorisation était rarement accordée d'office; aussi, tandis que les rouages de la bureaucratie se mettaient lentement en branle, les jeunes Américains s'aperçurent qu'il existait des moyens détournés pour prendre du service dans les rangs de la RAF en tant
que volontaires.
Leur présence attira rapidement l'attention de l'Air Ministry, et, dès le printemps, la plupart d'entre eux avaient réussi à revêtir l'uniforme bleu de l'Air Force et étaient répartis dans les différents centres d'entraînement de la RAF pour y commencer leur stage opérationnel.
Les premiers volontaires
Alors que la majorité des jeunes Américains étaient intégrés dans les squadrons de bombardement, cinq volontaires furent jugés aptes à voler dans la chasse. Le premier à réussir son entraînement complet fut le Pilot Officer William M.L. Fiske, qui, dès la mi juillet, fut affecté au Squadron de chasse 601 « County of London » basé à Tangmere, bientôt suivi par les Pilot Officers V.C. Keogh, P.H. Leckrone et A. Mamedoff, qui,
le 8 août, rejoignirent le Squadron 609 à Middle Wallop. Peu après, le Pilot Officer A.G. Donahue prenait son poste au Squadron 64; quant au Lieutenant J.K. Haviland, il fut affecté au 151 au mois de septembre.
C'est au cours des durs combats aériens qui se déroulèrent au-dessus de Tangmere le 16 août que Fiske reçut les blessures auxquelles il devait succomber le lendemain. C'était le premier des volontaires américains à mourir pour la Grande-Bretagne.
 |
un groupe de pilotes du Squadron 71, le premier squadron des Aigles, qui devint opérationnel en novembre 1940 - au retour d'une sortie au-dessus de la France, au début de 1941.
|
Vers la fin de la bataille d'Angleterre, dix-neuf citoyens américains avaient rejoint les squadrons de chasse britanniques. Les quatre premiers volontaires survivants avaient été engagés contre l'adversaire, tous aux commandes de Spitfire à l'exception de Haviland. Quatre jours avant sa mort, Fiske avait détruit un Junkers 88. Le 15 août, Keogh avait participé à la destruction d'un Dornier; le 25 du même mois, Tobin avait
abattu un Messerschmitt Bf-110.
Comme la bataille tournait à l'avantage de la RAF et que de nouveaux squadrons de chasse étaient en formation afin d'étoffer les unités du Fighter Command, on décida en haut lieu de créer un squadron spécial qui réunirait les Américains, de plus en plus nombreux, qui passaient par les Operational Training Units (unités d'entraînement opérationnel).
Le premier squadron de ce type fut formé le 19 septembre 1940 à Church Fenton sous la dénomination de Squadron 71; il était alors équipé d'appareils d'entraînement avancé Miles « Master » et de trois Brewster « Buffalo ». Un Squadron 71, composé de volontaires australiens, avait vu le jour dans le Royal Flying Corps au cours de la Première Guerre mondiale, mais il avait été dissous à la fin du conflit.
Encore composé de volontaires - américains cette fois - l'embryon de squadron fut rejoint par les vétérans de la bataille d'Angleterre, sous le commandement du Squadron Leader Walter Myers Churchill, qui venait de l'Auxiliary Air Force et qui, durant les combats de l'été, se trouvait à la tête du Squadron 605 « County of Warwick ».
Les Aigles au combat
Bien qu'il fût au complet, avec pilotes et personnels au sol, dès la fin du mois d'octobre 1940, le premier squadron des Aigles ne participa pas aux combats de la bataille d'Angleterre, et seuls les cinq premiers volontaires américains purent porter, parmi leurs décorations, l'insigne si prisé de ces combats. Hélas, tous, sauf Haviland, devaient perdre la vie au cours de la guerre.
En novembre 1940, alors qu'il faisait mouvement sur Kirton-in-Lindsey en vue de devenir opérationnel, le Squadron 71 fut complété par un contingent de Hurricane 1. Au début de l'année suivante, il était prêt au combat et participa, avec le 11th Group, à des patrouilles offensives au-dessus de la Manche.
La première opération eut lieu le 5 février, mais c'est seulement le 17 avril que les pilotes du 71 entrèrent véritablement dans la guerre. Ce jour-là, le Pilot Officer Daymond attaqua un Dornier Do-17, mais ne put obtenir de résultat positif.
Au mois de juin, le squadron « toucha » un nouveau commandant, le Squadron Leader Henry de Clifford Anthony Woodhouse, et fut transféré à North Weald, continuant ses vols au-dessus de la Manche dans les secteurs opérationnels portant les noms de code

|
pilotes du Squadron 336, du 4th Fighter Group, devant le tableau de leurs victoires
|
« Rhubarbs » et « Roadsteads », avec les nouveaux Hurricane II. Le 21 juillet, le squadron remporta une première victoire en combat, grâce au Pilot Officer Dunn, qui détruisit un Messerschmitt Bf-109 au-dessus de Lille. Au mois d'août 1941, le Squadron 71 put enfin échanger ses Hurricane, alors complètement surclassés, contre des Spitfire II A et, le mois suivant, reçut des Spitfire V, avant d'être transféré à Martlesham
Heath au mois de décembre.
La tentative de débarquement à Dieppe
Après une période de mauvais temps, le palmarès du squadron stagna à quinze appareils adverses en huit semaines, mais au printemps de 1942 on assista à une reprise des opérations, auxquelles participèrent les pilotes américains engagés avec le 2nd Group. Ceuxci avaient une fois de plus déménagé et rejoint la base de Debden, où ils restèrent jusqu'au mois d'août 1942, date à laquelle ils furent transférés à Gravesend, afin
de participer à la couverture aérienne de la tentative de débarquement effectuée à Dieppe le 19 de ce même mois.
Le 14 mai 1941, un deuxième squadron des Aigles avait été formé à Kirton-in-Lindsey, sous le commandement du Squadron Leader Robin P.R. Powell; il était composé de nouveaux volontaires américains, qui volaient sur Hurricane. A la fin du mois de juillet, le Squadron 121 fut déclaré opérationnel.
Il comprenait des Hurricane II B armés de douze mitrailleuses et fut engagé dans des patrouilles sur les côtes sud-est de l'Angleterre. Durant l'une de ces opérations, exécutée le 8 août, le Pilot Officer Edner et le Sergeant Mooney attaquèrent et endommagèrent un Junkers 88. Vers la fin de l'été, le 121, engagé plus au sud, détruisit son premier appareil (15 novembre 1941), lequel n'était malheureusement pas un avion allemand,
mais un Blenheim de la RAF.
« Rhubarbs » et « Roadsteads »
A cette époque, le squadron fut doté de Spitfire VB armés de canons et fut transféré au mois de décembre à North Weald, où il fut engagé dans les secteurs « Rhubarbs » et « Roadsteads » au-dessus de la Manche. Dans la nuit du 11 au 12 février 1942, les cuirassés allemands Scharnhorst, Gneisenau et Prinz Eugen effectuèrent leur spectaculaire sortie de Brest pour gagner leurs bases du nord de l'Allemagne.
Prise de court, l'aviation anglaise fut constamment dominée par la chasse allemande, et pas une bombe, pas une torpille n'atteignirent les bâtiments allemands. Le 121 fut l'un de ceux qui furent opposés à la couverture de chasse adverse; il affronta ainsi pour la première fois les nouveaux Focke-Wulf Fw-190A, si rapides qu'ils devaient
baisser leurs volets et leur train pour attaquer les avions torpilleurs Swordfish.
C'est seulement un mois plus tard, le 22 mars, qu'un pilote américain réussit à engager un Focke-Wulf et à l'abattre au-dessus des côtes françaises.
Durant les mois qui suivirent, les pilotes du 121 détruisirent une douzaine de ces appareils.
Le 29 juillet 1941, un troisième squadron des Aigles, le Squadron 133 fut formé à Coltishall-inNorfolk, sous le commandement du Squadron Leader G.A. Brown, qui servait auparavant avec le 253.

|
les pilotes Peterson et Daymond du Squadron 77 posent dans un Spitfire Mk-VB après avoir été décorés, en octobre 1941
|
Deux mois suffirent pour rendre cette unité opérationnelle. Au mois d'octobre, elle fut équipée de Spitfire IIA et rejoignit le Squadron 121, qui patrouillait au-dessus de la côte est à partir de Duxford. Le 5 février 1942, lors d'une escorte de routine, il rencontra deux Dornier Do-217 de la Kampfgeschwader 2 « Holzhammer » (2e escadre de bombardement) il en détruisit un et endommagea l'autre.
 |
Un Hawker « Hurricane H Mkdu Squadron 71. Moins rapides que le BF-109E allemand, mais mieux armé, le Hurricane constitua l'élément de base de la chasse britannique dans les premières années de la guerre
|
Au mois de mai, le Squadron 133 fit mouvement sur Biggin Hill avec un nouveau commandant, E.H. Thomas, et continua ses patrouilles sur « Roadsteads » et « Rodeos »; le 4 juin, il participa à la couverture du raid de commando contre Boulogne.
Au cours de la massive opération aérienne engagée pour soutenir la tentative de débarquement à Dieppe, le 19 août, les squadrons des Aigles effectuèrent près de cent cinquante sorties et déclarèrent avoir abattu neuf avions allemands (la destruction de six appareils seulement fut confirmée par la suite).
Parmi les pilotes engagés dans cette opération, il en est deux qui, vers la fin de la guerre, devaient figurer parmi les as du 4th Fighter Group américain : le Squadron Leader Chesley C. Peterson, commandant le Squadron 71, et le Flight Lieutenant Don M. Blakeslee, du Squadron 133. Un autre pilote se distingua ces jours-là, le Pilot Officer Don S. Gentile, qui abattit au-dessus de Dieppe un Focke-Wulf 190A et un Junkers
Ju-88.
Passage dans l'US Air Force
Au mois d'août 1942 se situe l'apogée de l'action des squadrons des Aigles dans le cadre de la Royal Air Force. L'arrivée d'unités régulières de l'US Air Force sur le territoire de la Grande-Bretagne mettait ces squadrons dans une situation fausse. A la suite de
certaines protestations, il fut décidé en haut lieu de doter la centaine de pilotes volontaires d'un « statut opérationnel plus régulièrement défini », selon les termes des documents officiels.
Déjà les trois premiers groupes de chasse américains (21, 31 et 52) étaient arrivés en Angleterre. Le 31 avait même participé à l'opération contre Dieppe le 19 août, volant sur Spitfire. Les deux autres groupes, également équipés de Spitfire, avaient été embarqués sur un porteavions afin de participer au débarquement allié en Afrique du Nord. Un quatrième groupe de chasse, le 4th Fighter Group de la 8th US Air Force, avait
été formé en incorporant les squadrons des Aigles.
Entre-temps, le Squadron 133 avait subi une défaite particulièrement grave.
Volant sur les nouveaux Spitfire IX au-dessus du territoire français, il avait été intercepté par la chasse allemande.
Sur douze pilotes, onze avaient été abattus en territoire adverse. Les survivants furent de nouveau équipés de Spitfire VB.
Les Squadrons 71 et 121 furent réunis avec le 133 de Great Sampford et devinrent, respectivement, les Squadrons 334, 335 et 336 du 4th Fighter Group, basé à Debden. Beaucoup de pilotes regrettèrent de quitter l'uniforme bleu de la Royal Air Force, conscients d'avoir été les pionniers d'une tradition enviable et d'avoir gagné une réputation de « durs à cuire » parmi les pilotes du Fighter Command.
 |
pilotes du Squadron 71 en conversation avec le Squadron Leader W. Taylor
|
Mais les changements d'uniforme (pour les hommes) et de marquage (pour les appareils) n'eurent qu'une importance minime, du moins durant les six premiers mois, car les Aigles - l'appellation avait été officiellement reprise par l'US Air Force - devaient encore jouer un rôle important. En effet, lors de l'arrivée en Grande-Bretagne du Republic P-47 « Thunderbolt », un nouvel avion d'escorte, c'est au 4th Group qu'il incomba
de le mener au combat. Mais les Aigles durent faire face jusqu'au bout à l'extraordinaire capacité de résistance de la Luftwaffe. A la fin de la guerre, l'escadrille des Aigles était l'une des unités américaines qui avait détruit le plus d'avions ennemis.
Il n'en reste aujourd'hui que quelques survivants, témoins d'une époque qui vit une poignée d'hommes représenter les États-Unis dans les premiers combats contre l'hégémonie nazie.
|