Ouvrir des brèches pour
permettre une évasion. Le rôle des Mosquito consistait
à bombarder les murs d'enceinte de la prison et certains
bâtiments intérieurs, généralement occupés
par les gardiens allemands et la direction. Une action de bombardement
de ce style exigeait une précision absolue: quelques mètres
ou quelques secondes d'erreur de la part des équipages des
bombardiers et c'était le massacre général
des patriotes français au lieu de la liberté promise.
Cette action avait été
réclamée par le Maquis, comme l'ultime tentative susceptible
de sauver d'une mort certaine les prisonniers aux mains de la Gestapo.
Lorsque la RAF reçut cette étonnante requête,
elle émit immédiatement des réserves quant
à la possibilité de réussir un bombardement
aussi précis; le risque de tuer les gens qu'il fallait sauver
paraissait inévitable. Réussir cette mission supposait
qu'il fallait placer les bombes au mètre près sur
des points précis de l'édifice, déterminés
de manière à faciliter l'évasion finale.
Techniquement, cela signifiait
que les avions allaient devoir voler à 5 m d'altitude, larguer
leurs bombes sans marge d'erreur et remonter immédiatement
pour franchir les murs de la prison, hauts de 20 m. De plus, les
intervalles séparant les appareils devaient être absolument
respectés. Enfin, la mission, qui portait le nom de code
« Jericho », ne pouvait en aucun cas être renouvelée.
La tâche revint au Wing 140
du 2nd Group de la RAF, dont tous les équipages, dès
l'annonce de la mission et malgré les risques encourus, se
portèrent volontaires. Plusieurs fois reporté en raison
des conditions atmosphériques, le raid fut décidé
le 18 février 1944. Le briefing rassembla les équipages
choisis très tôt le matin. Trois formations de six
Mosquito, menés par les hommes les plus expérimentés
des Squadrons 21, 464 et 487, étaient prévues.
peu avant le raid
sur Amiens, P.C. Pickard, responsable de l'opération
(à gauche), et son navigateur, J.A. Broadley. Tous deux devaient
y trouver la mort
Un appareil isolé appartenant
au service cinématographique allait suivre toute l'opération
pour en filmer les résultats. La première vague comprendrait
deux groupes de trois Mosquito du Squadron 487, néo-zélandais,
suivis de deux groupes de trois avions du Squadron 464, australien,
tandis que les appareils du Squadron 21 étaient maintenus
en réserve pour achever les destructions le cas échéant.
Mort d'un patron
Le cerveau et en même temps
le responsable de l'opération était un Group Captain
grand et blond, sur la brèche depuis près de quatre
ans: Percy Charles Pickard (OSO, OFC). La conduite du raid et la
navigation étaient entre les mains de l'ami inséparable
de Pickard, le Flight Lieutenant J. A. Broadley (OSO, OFC, OFM).
Ce devait être leur dernière
mission, car ils trouvèrent la mort à Amiens. Le Mosquito
« photo » OZ 414 codé« 0» (Orange),
piloté par Tony Wickham, devait suivre la deuxième
vague au-dessus de la prison pendant que Pickard survolerait l'objectif
pour décider si le Squadron 21 devait ou non intervenir.
Pour contrer une éventuelle
intervention de la Luftwaffe, une escorte de douze Hawker «
Typhoon » du Squadron 198 accompagnerait les Mosquito. La
tâche des Néo-Zélandais consistait à
ouvrir des brèches dans les murs extérieurs de la
prison, au niveau du sol et en deux endroits; celle des Australiens
à ouvrir le bâtiment principal, placé au centre
de l'ensemble, en détruisant le corps de garde allemand.
L'intervalle entre les deux attaques ne devait pas excéder
trois minutes. Chaque Mosquito emporterait deux bombes HE de 225
kg, à fusée réglée avec onze secondes
de retard.
Les équipages eurent deux
heures pour étudier une maquette de la prison et de ses environs
et calculer les angles d'attaque, les hauteurs, les obstacles, les
positions de OCA et les itinéraires de dégagement.
Les deux vagues reçurent explicitement l'ordre de regagner
leur base immédiatement, une fois les bombes larguées.
Les équipages rejoignirent
leurs avions et, à 10 h 30, les dix-neuf Mosquito étaient
rassemblés en bout de piste sur la base de Hunsdon, dans
l'attente de l'ordre de décoller, qui leur fut donné
à Il heures.
Avant la mission, les équipages
eurent deux heures pour étudier cette maquette de la prison d
'Amiens, aujourd'hui conservée à l'Imperial War useum
de Londres
L'heure militaire
Le raid était calculé
pour que l'attaque fût déclenchée à 12
h 3 précisément, heure prévue du largage des
bombes des Néo-Zélandais. L'un des participants a
raconté; « Nous avions tous décidé de
faire tout cc qui était en notre pouvoir pour réussir
cette mission. Je me rappelle que le Group Captain Pickard exprima
tout haut ce que tout le monde pensait tout bas:
"Dites-vous que c'est pile
ou face. Si nous réussissons, ce sera l'une des plus importantes
opérations de la guerre. Et même si vous ne faites
plus rien, vous pourrez toujours dire que c'était bien le
plus beau boulot que vous ayez accompli. " En sortant, le temps
nous apparut toujours aussi exécrable. Terrible même!
La neige tombait toujours en tourbillons
épais qui masquaient ou démasquaient la piste. Très
certainement, une opération ordinaire aurait été
décommandée dans des conditions pareilles... Nous
sommes montés dans les avions, nous avons fait chauffer les
moteurs, en pensant que ce n'était pas un temps pour voler.
Quand nous avons vu notre commandant embarquer dans son avion, nous
étions sûrs d'y aller.
Les dix-huit appareils décollèrent
rapidement l'un après l'autre, et peu après 11 h du
matin nous étions en route pour attaquer la prison au moment
précis où les gardiens seraient à la Soupe.
»
Février 1944.
Un petit groupe de bombardiers
De Havilland « Mosquito » décolle, avec le plein
de bombes, pour une mission inhabituelle: sauver des vies humaines.
Objectif: la prison d'Amiens, où les Allemands détiennent
une centaine de membres de la Résistance, dont beaucoup sont
à la veille d'être exécutés.
Sur les dix-huit avions, deux Mosquito
du Squadron 21 puis deux du Squadron 464 quittèrent
la formation, pour regagner leur base sur incidents de vol
causés par les mauvaises conditions atmosphériques.
Le Flying Officer Sparks poursuit ainsi son récit: «
Le temps d'atteindre une trentaine de mètres d'altitude,
et je ne vis plus rien qu'une soupe grise, brumeuse, la neige et
la pluie frappant le plexiglas de l'habitacle.
Il était impossible de se
mettre en formation ou d'y rester, et je volais droit vers la côte
de la Manche. A 3 km au large, le temps était magnifiquement
clair, et quelques minutes après nous étions au-dessus
de la France. Nous suivions la côte à l'altitude zéro.
Nous avons contourné Amiens par le nord avant de nous disposer
en formation d'attaque. »
quelques vues du raid sur la prison
d'Amiens.
Comme à la parade
« Mon avion, avec celui du
Wing Commander et un autre, resta en formation pour la première
attaque; notre travail consistait à percer le mur d'enceinte
à l'est. Nous avions pris la route d'Albert à Amiens
comme repère; elle est toute droite et nous mena directement
sur la prison. Je me souviendrai toujours de cette longue route
rectiligne et couverte de neige.
Elle était bordée
de hauts peupliers et nous volions tous les trois si bas que je
devais incliner mon avion pour ne pas toucher la cime des arbres.
Alors que je pilotais avec un reil sur les peupliers et l'autre
sur la route, l'escorte de chasseurs se rappela à mon bon
souvenir. Un Typhoon me croisa juste devant et je manquai d'être
arraché de mon siège. Puis, les peupliers s'effacèrent
d'un coup et la prison apparut à 1 500 m devant. Elle ressemblait
exactement à la maquette. Nous fûmes dessus en quelques
secondes.
« Nous serrions le sol au
maximum et le moins vite possible. Nous larguâmes nos bombes
à la base des murs et passâmes au-dessus; pour nous,
c'était fini. Il ne s'agissait pas de rester pour voir le
résultat. Nous devions dégager tout droit et laisser
la place aux autres. En tournant la tête, nous vÎmes
la deuxième section néo-zélandaise mener son
attaque et nous suivre. »
Le Wing Commander I.S. «
Black » Smith (DFC), « patron » de la première
vague, a raconté l'attaque ainsi: « Ma section arriva
juste sur le coin du mur est pendant que les autres allaient virer
loin pour revenir droit sur le mur nord. La navigation avait été
parfaite et je n'avais jamais aussi bien volé. On aurait
dit une démonstration.
Nous volions aussi bas et aussi
lentement que possible, de manière à larguer nos bombes
juste au pied des murailles. Malgré tout, les bombes traversèrent
le mur extérieur et la cour intérieure pour exploser
de l'autre côté. Je larguai les miennes à 3
m d'altitude et tirai ferme sur le manche. L'air était plein
de fumée, mais de toutes les bombes lâchées
par ma section une seule manqua l'objectif. »
vue
de la prison après le raid
Dans les fenêtres...
Dès que les Néo-Zélandais
eurent dégagé, le Wing Commander R. W. « Bob
» Iredale (DFC) amena ses Australiens sur l'objectif pour
la deuxième phase de l'opération: la destruction du
corps de garde. Arrivant si bas qu'ils durent sauter le mur d'enceinte
pour glisser leurs bombes dans le bâtiment, les Australiens
durent traverser l'épais rideau de fumée et de débris
qu'avait soulevé la première attaque des NéoZélandais.
En décrivant des cercles
autour de l'objectif, Pickard se rendit compte tout de suite que
la mission était un succès: d'énormes brèches
dans les murailles livraient passage à des centaines de prisonniers,
minuscules silhouettes de fourmis répandues sur la neige
audessous de lui. En conséquence, il donna l'ordre au
Squadron 21 de rentrer à sa base avec ses bombes inutiles.
Pendant ce temps, Wickham entamait sa première passe sur
la prison avec son Mosquito « photo » : « Au premier
passage, nous avions vu que l'opération était réussie.
Les deux extrémités
de la prison étaient complètement détruites
et les murs d'enceinte étaient démolis en de nombreux
endroits. On pouvait voir un grand nombre de prisonniers qui s'échappaient
sur la route. Les appareils installés dans l'avion enregistraient
tout ça, et l'opérateur couché dans le nez
prenait photo sur photo aussi vite qu'il le pouvait. Il en était
si enthousiasmé qu'il réussit à nous faire
rester au-dessus de l'objectif plus longtemps que la prudence ne
le recommandait. »
Vue aérienne de la prison d'Amiens après le raid
britannique. On remarque en haut, à gauche, la brèche
ouverte dans le mur d'enceinte. De toutes les bombes larguées
par les avions de la RAF une seule manqua son objectif