- ALKEMADE Nicholas
-
Sergent /
Mitrailleur - Squadron 115 RAF

De toutes les anecdotes que compte l'histoire de l'aviation,
la mésaventure du Sergent Alkemade et de quelques autres miraculés
sont de loin les plus extraordinaires que l'on puisse imaginer.
Plus
ou moins bien documentées, toutes ces histoires témoignent
de la chance extraordinaire dont bénéficièrent
les auteurs de ces chûtes libres de plusieurs milliers de mètres
qui, dans la plupart des cas évoqués si après,
se terminèrent seulement par des blessures légères.
Mais avant d'aborder en détail le récit
de ces histoires extraordinaires, voyons en quelques mots les conditions
auxquelles ces chuteur involontaires sont exposés.
La vitesse maximale à laquelle tombe un corps
peut être calculée à l'aide de formules mathématiques
complexes qui intègrent le poids du chuteur, sa surface (et donc
la résistance qu'il oppose à l'air selon sa position),
la densité de l'air, etc...
Plus simplement des études
réalisées en 1943 aux États-Unis ont permis de
calculer que si un parachutiste de l'époque d'environ 85 kg mettait
24 minutes pour franchir 40 000 pieds (soit 13 000 mètres) à
la vitesse moyenne d'environ 23 km / h, un chuteur libre ne mettait
que 3 minutes pour franchir la même distance à la vitesse
de 176 km / h.
Enfin, la vitesse maximale étant atteinte au bout
de 14 seconde de chute (soit une distance d'environ 550 m) ceci veut
tout simplement dire qu'une chute de 5000 m ne présente potentiellement
pas plus de risque qu'une chute de 500 mètres en terme de vitesse
finale à l'impact.
Ceci étant dit, étudions maintenant en
détail le cas de nos miraculés.
Alors qu'il se prépare pour sa treizième
mission de bombardement sur l'Allemagne, le sergent Nicholas Alkemade
est un peu nerveux.

Poste de mitrailleur de queue du Lancaster.
A peine âgé de 20 ans, il est mitrailleur
dans la RAF et vole sur Lancaster au sein du Squadron 115. S'occupant
du poste arrière, son rôle est primordial au cours de ces
missions de nuit où la menace vient principalement de la Flak
et des chasseurs de la Luftwaffe qui, en ce début d'année
1944 sont particulièrement bien organisés, dotés
de radars performants et d'une puissance de feu redoutable suffisante
pour abattre un bombardier lourd en une seule rafale d'obus de 20 et
30 mm. Isolé dans sa bulle de Plexiglas, il doit scruter le ciel
en permanence afin de pouvoir tirer le premier en cas d'alerte.
Compte tenu de l'étroitesse de la tourelle arrière
qui se compose de 4 mitrailleuses défensives Browning et de leurs
munitions, la position est très inconfortable.
Isolé du
reste de l'équipage par une longue carlingue encombrée
et difficile d'accès, le mitrailleur arrière peut toutefois
communiquer par le biais de l'intercom, la radio du bord. La place est
tellement réduite dans la tourelle que même le parachute
est accroché aux flancs de la carlingue, en arrière de
la tourelle.
Outre le froid extrême qui règne à
6000 mètres (40° de moins qu'au niveau du sol), et les habituels
barrages d'artillerie antiaérienne, les douze premières
missions réalisées à bord du S comme Sugar se sont
bien passées.
En ce 24 mars 1944, la température est particulièrement
glaciale et le Squadron 115 a perdu un peu de temps au cours de son
survol de l'Allemagne, essuyant le tir nourri de la Flak au-dessus de
Francfort.
Éclairée par les pathfinder (éclaireurs)
la ville de Berlin s'apprête à passer une nouvelle nuit
sous les bombes des 300 appareils envoyés ce soir là pour
tenter de détruire de nouveaux objectifs stratégiques.
Arrivé sur l'objectif qui lui a été assigné,
l'équipage largue ses 2 tonnes de bombes explosives et ses 3
tonnes de bombes incendiaires avant que le pilote Jack Newman ne donne
l'ordre magique du retour.
A peine ont-ils amorcé le retour qu'une violente
explosion secoue le Lancaster suivie par l'impact de projectiles. Atteignant
l'avant dans un premier temps, la rafale déchire le fuselage
avant d'atteindre la tourelle arrière dont le Plexiglas est troué
par les balles.
Indemne, Alkemade voit alors l'assaillant, un Junker
Ju 88 isolé qui vole à 45 mètres à peine
du Lancaster et qui se place en position de tir pour achever sa proie.
Ripostant immédiatement, Alkemade parvint à toucher et
à faire exploser le moteur droit du chasseur Allemand qui abandonne
le combat en tombant.
Euphorique d'avoir ainsi remporté sa première
victoire aérienne, Alkemade est cependant rapidement rappelé
à la réalité. La situation n'est pas brillante.
Le feu qui s'est déclaré se propage dans la carlingue
où se trouve son parachute. Au même moment, Alkemade entend
le pilote qui donne l'ordre d'évacuation de l'appareil. Ouvrant
la porte arrière de sa tourelle pour accéder au fuselage
il découvre avec horreur que son parachute est la proie des flammes.
Comprenant immédiatement la gravité de
la situation, Nicholas Alkemade déclarera plus tard avoir ressenti
"son estomac se décrocher de son corps" en s'apercevant
qu'il allait mourir. Malgré la situation, il reste calme et prend
alors la décision qu'il ne périrait pas dans les flammes
mais qu'il préférait une mort rapide et propre en se jetant
dans le vide. Retirant son masque à oxygène déjà
en partie fondu, il fait alors pivoter la tourelle de manière
à placer l'orifice de la porte arrière restée ouverte
face au vide et bascule dans la nuit
Immédiatement, la terreur qui l'envahissait
laisse la place à un sentiment de grande tranquillité
et de calme. Ne ressentant pas la sensation de la chute, il a l'impression
d'être couché sur un nuage et de se laisser porter, lui
donnant le sentiment que la mort est finalement moins désagréable
que l'idée qu'il s'en faisait.
Ayant calculé le temps
qu'il lui faudrait pour atteindre le sol, il sait qu'il ne lui reste
plus que 90 secondes à vivre. Dans l'intervalle, il pense à
cette prochaine permission, prévue dans une semaine et qu'il
ne prendra pas, de même qu'il ne reverra pas sa fiancée,
Pearl. Couché sur le dos, il observe les étoiles, ayant
une dernière pensée pour la bestialité de cette
guerre, avant de perdre connaissance.
Ne comprenant pas pourquoi il ressentait une telle
sensation de froid, Alkemade croit tout d'abord être mort. Ouvrant
un oeil, il aperçoit une étoile qui brille entre les sapins
enneigés. Regardant sa montre, il note qu'il est 3 heures 10
du matin. Il est donc resté 3 heures inconscient... mais vivant.
"Dieu du ciel" s'écrit-il alors, "je suis vivant".
Ralenti dans un premier temps par les sapins, les 45 cm de neige qui
recouvrent le sol ont fini d'amortir la chute, permettant ainsi au miracle
de s'accomplir. Non seulement il était vivant après une
chute de 6000 mètres mais l'analyse rapide de son état
de santé ne semblait pas laisser apparaître de lésions
grave en dehors d'une vive douleur au genou droit et de nombreuses ecchymoses
et de quelques coupures et brûlures subies alors qu'il était
encore dans le Lancaster.
La douleur de son genou l'empêchant
de marcher, il se résout alors à son futur sort de prisonnier.
Commençant à souffrir du froid, il fait alors usage de
son sifflet pour appeler de l'aide et ne pas mourir bêtement de
froid. Alertés par les sifflements un groupe de Volkssturm finit
par le retrouver fumant tranquillement une cigarette.
Ramassé sans vergogne, Alkemade manque de s'évanouir
tant la douleur au genou est intense. Conduit à l'hôpital,
il tente alors d'expliquer au médecin son aventure. Le prenant
pour un fou, le médecin ne porte aucun crédit à
son histoire. Transféré au Luft Stalag de Francfort, il
subit trois interrogatoires et placé en isolement devant son
insistance à répéter son histoire que bien sur,
personne ne veut croire.
Pour les autorités Allemandes, les mensonges
évidents d'Alkemade le désignent alors comme un espion
potentiel. Maintenant son histoire, Alkemade parvient finalement à
persuader le Lieutenant Hans Feidal, de la Luftwaffe, de se rendre sur
les lieux du crash du S comme Sugar et de voir si des restes du parachutes
avaient subsisté, permettant ainsi d'attester sa version des
faits.
Découvrant mes restes calcinés du parachute, les
Allemands doivent finalement admettre que celui-ci n'a pas été
utilisé et que la version d'Alkemade, aussi incroyable puise-t-elle
paraître était bonne.
Ses compagnons du Stalag lui remettront plus tard une
bible dans laquelle il est écrit que les recherches conduites
par les autorités allemandes permirent de vérifier les
déclarations du Sergent Alkemade, numéro matricule 1431537
de la RAF, qui a effectué une chute de 6000 mètres sans
parachute et qui est tombé sur des sapins et dans la neige sans
souffrir de blessure.
Libéré en 1945, il travaille après-guerre
dans une usine de produits chimiques à Loughborough. Un jour,
une poutre d'acier de 100 kg lui tombe dessus. Secouru par ses collègues
qui le croit mort, il s'en sort avec une blessure superficielle à
la tête.
Un e autre fois, il reçoit d'importantes projections
d'acide sulfurique mais s'en sort encore indemne. Une autre fois, c'est
une décharge électrique de forte intensité qui
manque de le tuer. Une autre fois, il respire pendant plus d'une heure
du chlore et s'en sort encore indemne. Finalement, il meurt le 22 juin
1987, à l'âge de 63 ans.
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