Robert ESNAULT-PELTERIE
Connu surtout comme l'un des précurseurs de l'astronautique en France, Robert Esnault-Pelterie figure également parmi les pionniers de l'aviation. Il mit en effet au point un système de commande contrôlant à la fois la stabilité transversale et la stabilité longitudinale d'un avion et réalisa un appareil doté d'une structure en tubes d'acier soudés.
Né en 1881, Robert Esnault-Pelterie fit ses études au lycée Janson-de-Sailly, puis à la Sorbonne. Il était déjà passionné par l'aéronautique et, peu de temps avant de passer sa licence ès sciences, en 1902, il avait construit un cerf-volant de 18 m2 de surface. Après son service militaire, qu'il effectua chez les sapeurs télégraphistes, REP, comme l'appelaient familièrement ses camarades, s'orienta vers la recherche aéronautique, qui en
était encore à ses premiers balbutiements.

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S'inspirant des comptes rendus des frères Wright, le jeune Esnault-Pelterie commença en 1904 à construire un planeur biplan d'une envergure de 10,20 m.
Lors des essais, qui eurent lieu dans les dunes du cap Blanc-Nez, ce planeur se montra d'une instabilité décevante, pour ne pas dire catastrophique. Il en fut de même avec le planeur suivant, dont l'envergure était de 9,60 m et le poids de 85 kg.
Loin de se décourager, Esnault-Pelterie poursuivit ses expériences. Avec une sorte de voiture laboratoire, équipée d'un dynamomètre et d'un anémomètre et roulant à plus de 80 km/h, il effectua, sur diverses formes de profils des mesures et des tests aérodynamiques dont les résultats lui permirent d'élaborer les plans de son premier avion.
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Robert Esnault-Pelterie, pionnier de l'aviation, fut le précurseur français de l'astronautique et l'inventeur du « manche à balai
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Entre-temps, Esnault-Pelterie avait également étudié et construit un moteur fixe à 7 cylindres en étoile, ou plutôt en éventail, car les 4 cylindres qui, normalement, auraient dû se trouver en position basse avaient été relevés pour éviter les problèmes de lubrification qui se posaient à cette époque.
Chacun des deux groupes de cylindres, refroidis par air, était alimenté par son propre carburateur. A ce moteur développant 35 ch en tournant à 1 500 tr/mn, d'un poids à vide de l'ordre de 55 kg, et dont les premiers essais commencèrent en 1907, succédèrent un deuxième REP à 5 cylindres, d'une puissance de 55 ch, et un moteur en étoile à 7 cylindres de 90 ch, sorti en 1912.
Le monoplan REP I
Construit à Boulogne-Billancourt, dans ce qui fut sans doute la première usine aéronautique du monde, le REP I était terminé en avril 1907. Son fuselage était fait de tubes métalliques supportant des couples de bois, le tout étant entoilé avec de la soie vernie. Son moteur entraînait une hélice métallique à quatre pales. La surface alaire était de 18 m2.
L'une des principales caractéristiques de ce REP I résidait dans son train d'atterrissage, lequel ne comprenait qu'une seule roue, localisée presque au centre de gravité de l'appareil, légèrement à l'avant du poste de pilotage. Au début, des roues avaient été placées obliquement de part et d'autre de ce train monotrace pour éviter, au repos, une trop grande inclinaison de l'appareil.
Elles furent bientôt supprimées et remplacées par des roues situées aux extrémités de la voilure. Une roulette caoutchoutée, montée à l'arrière de l'avion, tenait lieu de béquille. Le pilotage s'effec tuait par l'intermédiaire de deux leviers, l'un assurant l'assiette de l'appareil et l'autre son orientation.

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en 1908, vue de l'atelier de construction d'Esnault-Pelterie à Boulogne-Billancourt, dans la région parisienne. Là étaient assemblés les cellules et les moteurs.
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Fin avril, le REP I fut transporté à Buc, où Esnault-Pelterie lui fit subir toute une série d'épreuves avant d'essayer de le faire voler. Enfin, le 10 octobre 1907, l'avion décolla, monta à 6 m d'altitude et retomba brutalement. Le train ayant bien réagi, l'appareil fut rapidement réparé.
D'autres incidents étant survenus lors de démonstrations, Robert Esnault-Pelterie décida de modifier la voilure de son appareil, d'autant qu'il était dans l'obligation de remplacer l'entoilage, celui-ci étant complètement distendu. (Le REP I doté de sa nouvelle voilure est visible aujourd'hui à Paris au Conservatoire national des arts et métiers, auquel, Esnault-Pelterie en fit don en juin 1920.)
Le deuxième REP
Au début de l'année 1908, Robert Esnault-Pelterie poursuivait ses activités dans ses établissements de Boulogne-Billancourt, qui regroupaient un bureau d'études, une salle de machines et des ateliers. Quatre monoplans y étaient en chantier (deux d'entre eux avaient un moteur de 35 ch, deux autres un moteur de 60 ch), dont le REP II.
Bien que sa silhouette fût assez comparable à celle du REP I, il était un peu moins haut que ce dernier, et le bord d'attaque de sa voilure se trouvait à la hauteur de la roue du train d'atterrissage principal. De plus, une importante dérive verticale avait été installée à l'arrière. Le train était équipé d'un amortisseur hydropneumatique très résistant, mis au point par Esnault-Pelterie.

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sur le terrain de Buc, le REP ll bis en cours d'essai durant l'hiver de 1908. Entre autres originalités, l'appareil comporte un train d'atterrissage monotrace, formule que l'on retrouve surtout sur les motoplaneurs. A noter les empennages arrière surdimensionnés, témoins des recherches du constructeur dans le domaine de la stabilité et des commandes de vol.
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Celui-ci en avait testé la solidité en se posant assez durement lors de son premier vol à bord du REP II, à Buc, le 8 juin 1908. Lors de la troisième sortie de l'appareil, après avoir parcouru plus de 1 200 m, il dut se poser en catastrophe dans un champ, non loin de Toussus-le-Noble, et, bien que le choc eût été largement absorbé par l'amortisseur hydropneumatique, Esnault-Pelterie souffrit néanmoins de sérieuses contusions.
Sur le REP II bis, qui présentait une envergure de 9,60 m et un poids en ordre de vol de 420 kg, le gouvernail de profondeur était pratiquement séparé de la carlingue. Le système de commande du type « manche à balai » avait été perfectionné. Deux leviers, installés respectivement à la gauche et à la droite du pilote, permettaient à ce dernier tant de contrôler la profondeur et le gauchissement que d'assurer la direction. Une pédale de gaz
au pied droit agissait sur le régime moteur.
Fin 1908, le REP II bis fut exposé aux côtés de l'Éole d'Ader, d'un appareil Wright, d'avions Blériot et Voisin au Salon de l'automobile consacré aux poids lourds. En mars 1909, il était présenté à l'exposition organisée par l'Aéro-Club de Grande-Bretagne à l'Olympia de Londres; enfin, en septembre de la même année, le public français pouvait admirer l'appareil au Salon de l'aéronautique, qui se tenait aux Champs-Élysées.
Le REP I et le REP II n'eurent pas de successeurs. Pour répondre aux spécifications émises par les militaires à la veille de la Première Guerre mondiale, Esnault-Pelterie dut en effet abandonner la formule du train monotrace pour le train classique. Les REP destinés à l'armée étaient de robustes biplaces présentant d'excellentes performances.
Leur principal défaut résidait dans le manque de visibilité, les ailes étant fixées à la hauteur des sièges de l'équipage. En 1914, deux escadrilles (la 15 et la 27), chargées d'effectuer des vols de reconnaissance ou des réglages d'artillerie, en étaient équipées.
Les avions REP ne restèrent en service que quelques mois, ayant été remplacés à la demande du chef du service aéronautique du GQG. L'un d'eux, le REP type K, se trouve actuellement au musée de l'Air.
Pour tenter de remédier au défaut de visibilité qui caractérisait ses appareils, Esnault-Pelterie avait dessiné un REP parasol équipé d'un moteur rotatif Rhône et doté d'un train d'atterrissage à trièdre déformable, mais il n'eut pas de suite. En revanche, des biplans furent montés en sous-traitance dans ses ateliers, et, en 1915, les établissements Esnault-Pelterie consacraient une grande partie de leur activité à la construction sous licence
de bombardiers Caproni.

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un monoplan biplace REP, baptisé hydro-aéroplane après adjonction d'un large flotteur souple construit par Fabre. Détenteur d'un premier pri; de vitesse décerné par l'Aéro-Club de France, l'appareil est exposé au Grand Palais à Paris.
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Il s'agissait de trimoteurs biplans à deux fuselages latéraux entre lesquels se situait le poste de pilotage. A l'avant des fuselages étaient montés deux moteurs à hélice tractive; le troisième, disposé à l'arrière de la carlingue, entraînait une hélice propulsive. Les premiers Caproni réalisés chez Esnault-Pelterie, les 1.B2, possédaient deux Rhône à l'avant et un CantonUnné à l'arrière, leur puissance totale s'élevant à 290 ch.
Le Caproni 2.Bn2 était doté de trois Isotta de 180 ch (soit au total 540 ch) et les 3.Bn3 de trois Fiat 260. Au moment de l'armistice de 1918, deux escadrilles de bombardement de nuit étaient encore opérationnelles sur Caproni dans l'aviation française, accomplissant des missions semblables à celles qu'exécutaient les bombardiers Voisin et Farman.
Le génie inventif de Robert Esnault-Pelterie
Raymond Saulnier, qui, en 1911, s'était associé à Léon Morane pour créer la société Morane-Saulnier, disait en parlant d'Esnault-Pelterie, peu de temps après la mort de celui-ci en décembre 1957 : « La génération actuelle a perdu de vue Robert Esnault-Pelterie qui fut de 1903 à 1908 une des figures les plus brillantes de l'aviation à ses débuts.
A mon avis, REP, comme nous l'appelions, est le cerveau le plus original, le plus clairvoyant et le plus prestigieux parmi les créateurs de l'aviation. Je suis convaincu que, lorsque les années auront décanté les légendes, les faits et les réputations, ce jugement sera ratifié par l'histoire. »
Au cours de sa carrière, Robert Esnault-Pelterie a en effet déposé plus d'une centaine de brevets, l'un des plus célèbres étant celui du « manche à balai », lequel suscita pendant de nombreuses années toute une cascade de contestations et de procès en contrefaçon.
Ses recherches et ses activités touchaient à tous les moyens de déplacement rapide, et les explosions qui retentissaient dans son petit laboratoire, situé à proximité de l'hospice de vieillards de Boulogne, faisaient sursauter tout le voisinage, et en particulier les personnes âgées, qui se frappaient la tempe de l'index : « C'est le toqué qui veut aller sur la Lune! »
En effet, dès 1908, Esnault-Pelterie songeait à la fusée, estimant que, pour se déplacer, le canon de Jules Verne relevait de l'utopie, ainsi qu'il le déclarait dans l'ouvrage L'Astronautique : « Une semblable conception n'appartient qu'au domaine du rêve pour plusieurs raisons, la première est que l'accélération appliquée au véhicule au moment du coup serait telle que les voyageurs seraient écrasés contre le plancher de leur prison d'acier.
Par exemple, si la longueur du canon était de 300 m, comme Jules Verne l'imaginait,... l'accélération serait telle que les malheureux voyageurs auraient la sensation de peser 208 000 fois leur poids normal. Un homme de 70 kg pèserait 14 500 t et son corps coulerait sur le plancher comme un liquide. »

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un monoplan REP destiné aux armées. Malgré de bonnes performances et une robus, cellule, ce type d'appareil était sérieusement handicapé par le manque de visibilité résultant du montage de la voilure à hauteur de la cabine de pilotage.
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En 1912, Esnault-Pelterie faisait un premier exposé de ses idées sur l'astronautique devant les membres de la Société française de physique. Il dut utiliser de « multiples précautions oratoires » et donner à sa conférence un titre qui n'effrayerait point : « Considérations sur les résultats d'un allégement indéfini des moteurs ».
Cette causerie ne rencontra guère d'échos, mais ce scepticisme, loin de décourager Esnault-Pelterie, lui fit l'effet d'un coup de fouet, et, dès lors, il ne cessa de prôner la fusée. En 1929, il créa d'ailleurs avec André-Louis Hirsch le Prix international de l'astronautique, destiné à encourager la recherche concernant les fusées et les moyens de s'évader de notre planète. Le terme « astronautique » était nouveau, et c'est sur l'insistance
de J.-H. Rosny, de l'académie Goncourt, qu'il fut choisi par Esnault-Pelterie.
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