Henri Fabre
Le
28 mars 1910, au-dessus de l'étang de Berre, un ingénieur
français nommé Henri Fabre faisait franchir à
l'aviation une étape essentielle en effectuant le premier
vol au monde à bord d'un hydravion. Né à Marseille
le 29 novembre 1882, au sein d'une vieille famille d'armateurs,
l'auteur de cet exploit s'était senti attiré dès
son plus jeune âge par les choses de l'air.
A trois ans, il
reçut de son père un petit hélicoptère
en rotin et en papier inspiré de l'engin mis au point par
Launoy et Bienvenu en 1784. L'événement pourrait sembler
à première vue bien anodin; il eut pourtant une influence
déterminante sur Henri Fabre, et l'on comprend mieux ce que
le petit garçon put ressentir quand on saura l'émotion
qu'éprouvèrent Wilbur et Orville Wright devant un
jouet semblable, présent de leur père.
En
juin 1906, passionné par les expériences des précurseurs
des « plus lourds que l'air ", subjugué par la
lecture de l'ouvrage de Louis Mouillard, L'Empire de "air,
enthousiasmé par la réussite des frères Wright,
Henri Fabre, qui avait passé de longs moments à étudier
le vol des oiseaux, décrocha son brevet de l'École
supérieure d'électricité de Paris.
Grâce
au soutien financier de son père, il fut à même,
en s'approvisionnant en matériel chez Voisin, de s'intéresser
aux cerfs-volants. Malgré tout et ses origines familiales
y furent sans doute pour beaucoup, son chemin était déjà
tout tracé, et c'est vers l'hydroaéroplane qu'il s'orienta.
Imprégné de ses conversations parisiennes avec de
nombreux pionniers de l'aéronautique comme Voisin, Tatin,
Blériot, Ferber, Henri Farman et Robert Esnault-Pelterie,
Henri Fabre se procura, vers la fin de l'année 1906, un remorqueur
de haute mer, l'Essor, avec lequel il réalisa, sur l'étang
de Berre, ses premières expériences d'hydraviation.
Assisté par Marius Burdin, l'ancien mécanicien du
capitaine Ferber, il parvint, au bout de plusieurs essais réalisés
à partir d'un catamaran tiré par l'Essor, à
mettre au point un système de flotteurs dont le profil rappelait
celui d'une aile d'aéroplane Antoinette (surface inférieure
plane et surface supérieure cylindrique).
La surface portante
se trouvait constituée par une feuille de contre-plaqué
travaillant à la manière d'une peau de tambour, dispositif
qui permettait une bonne absorption des chocs résultant des
vagues. Le flotteur ainsi conçu, articulé par un sandow,
présentait une faible résistance à l'avancement
dans l'eau et donnait à l'appareil la possibilité
de parvenir facilement à sa vitesse d'envoi. Au besoin, il
pouvait être utilisé comme patin d'atterrissage.
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Henri
Fabre devant son hydroaéroplane. Cet appareil
a été acheté par le musée
de l'air en 1920.
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En
1909, Henri Fabre construisit un gros hydravion trimoteur de 850
kg à trois flotteurs, dont la surface alaire atteignait près
de 35 m2. La propulsion était assurée par des engins
de 12 ch à trois cylindres dus au talent du motoriste Anzani.
En
outre, la voilure de cette machine volante pouvait se carguer au
repos, tout comme celle d'un voilier. Au jeune Marseillais revint
également le mérite de la création d'une poutre-longeron
formée de deux semelles en bois reliées par des planchettes
en V et dont la légèreté et la solidité
assuraient un bon comportement de l'appareil sur plan d'eau. Il
n'en est pas moins que, trop lourd et handicapé par ses flotteurs
qui « bourraient» sans pouvoir déjauger, le trimoteur
ne put s'envoler.
Il
ne restait plus à l'ingénieur qu'à perfectionner
la formule. Ce qu'il fit à la fin de l'année 1909
en assemblant un autre hydravion, de type canard cette fois, sur
lequel les ailes et le groupe propulseur avaient été
disposés à l'arrière. Une telle installation
permettait de lancer le moteur depuis un canot ou un bateau, évitant
au pilote de subir les inconvénients dus aux projections
d'huile.
Comme son prédécesseur, le nouvel hydroaéroplane
possédait trois flotteurs, mais son moteur, un rotatif Gnome
mis au point par les frères Seguin et actionnant une hélice
Chauvière, développait près d'une cinquantaine
de chevaux.
Le
28 mars 1910, tout était prêt pour l'évaluation
en vol. Henri Fabre, qui n'avait jamais piloté, allait cependant
réussir, à force de persévérance et
de courage, à faire décoller la machine de son invention.
Témoin de cette grande première, Laurent Seguin rapporta
que l'appareil prit son envol au bout d'une course de 300 m et qu'il
parcourut environ 500 m à l'altitude, bien modeste il est
vrai, de 5 m.
Un
second essai, effectué tout de suite après, aboutit
à un résultat comparable en ce qui concerne le décollage,
mais se révéla encore plus fructueux pour la distance
couverte, près de 800 mètres. Le succès de
l'expérimentation conduite à Berre valut à
Henri Fabre de nombreuses commandes.
Louis Paulhan lui acheta un
aéroplane qu'il utilisa à Saint-Cyr, en 1911, sous
l'appellation de « machine à voler». Pourvu de
poutres Fabre, d'une voilure cargable et d'empennages repliables,
ce biplan se comporta de manière remarquable. Deux autres
hydravions canards furent assemblés, mais ni l'un ni l'autre
ne connurent une carrière bien longue. Le premier se brisa
contre une barque sur le lac d'Enghien et le second s'écrasa
sur des rochers, entre les mains de Jean Bécue, à
Monaco.
Henri
Fabre continua sur sa lancée et fabriqua des flotteurs que
Gabriel Voisin monta sur un appareil de sa conception, un avion
amphibie piloté par Colliex, qui, parti du terrain d'lssy-les-Moulineaux,
le 3 août 1911, amerrit sur la Seine avant de revenir à
son point de décollage. Plongé dans ses recherches
personnelles, Henri Fabre conçut un glisseur qui remonta
le Rhône au mois de juin 1914. Pendant les hostilités,
il fabriqua sous licence des hydravions à coque dans ses
ateliers de Marseille.
La
guerre finie, il abandonna progressivement la construction aéronautique
pour revenir à la vieille tradition familiale: la fabrication
de voiliers. Le démon du « plus lourd que l'air »
ne l'a cependant pas quitté. Il y a peu de temps, après
presque un siècle de vie de recherches et de labeur, il s'intéressa
aux évolutions en Delta-plane, tout près de la ville
de Grenoble, où il s'est retiré.
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