Les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki mirent fin à la Seconde Guerre mondiale et ouvrirent au monde une ère nouvelle, aux dimensions apocalyptiques
Photographie des ruines d'Hiroshima prise par l'USAAF après l'explosion de la première bombe atomique. Au centre, le point d'impact entouré d'un cercle (5 700 m de diamètre) représentant la zone atteinte. Les chiffres correspondent aux parties ravagées (entre parenthèses, les pourcentages de destruction) :
1) base de transports de l'armée japonaise (25 %);
2) parc automobile de l'armée; 3) dépôt de vivres de l'armée (35 %);
4) magasins d'habillement de l'armée (85 %);
5) gare des chemins de fer de l'Est (30 %);
6) usine non identifiée (90 %);
7) usine de rayonne Sumitomo (25 %);
8) filatures de rayonne Kinkwa (10 %);
9) filatures Teikoku (100 %);
10) usine électrique;
11) dépôt d'huiles lourdes (en feu);
12) génératrice d'électricité des chemins de fer (100 %);
13) usine électrique (100 %);
14) compagnie téléphonique (100 %);
15) usine à gaz (100 %);
16) gare des chemins de fer d'Hiroshima (100 %);
17) autre gare (100 %);
18) pont chargé de débris, encore intact;
19) pont au quart détruit;
20) grand pont endommagé, mais encore utilisable;
21) pont endommagé côté ouest;
22) pont, rives bouleversées, encore intact;
23) pont, intact, chargé de débris;
24) deux ponts intacts;
25) pont détruit;
26) pont gravement touché;
27) pont détruit;
28) pont en ruine, inutilisable;
29) pont sérieusement endommagé, inutilisable;
30) pont légèrement endommagé, utilisable.
Le 6 août 1945, une seule bombe, d'une puissance encore jamais atteinte, réduisait une ville en cendres et tuait plus de 90 000 personnes. Trois jours plus tard, un second engin, d'une puissance comparable, détruisait une autre ville japonaise, provoquant la mort de 35 000 personnes. Utilisée pour la première fois, l'arme atomique donnait une dimension nouvelle à la guerre, et les
noms tragiques d'Hiroshima et de Nagasaki allaient désormais s'identifier à la menace de l'holocauste nucléaire.
La bombe atomique trouve son origine dans la lettre adressée par Albert Einstein, en novembre 1939, au président des États-Unis. Dans cette lettre, le grand physicien avertissait Roosevelt que les recherches menées dans l'Allemagne de Hitler pouvaient conduire à la fabrication d'une bombe d'une puissance considérable.
Dans l'hypothèse d'une guerre éventuelle, il était donc de l'intérêt des États-Unis de se lancer dans un vaste programme scientifique pour se doter de l'arme nucléaire et devancer l'Allemagne. La Grande-Bretagne avait déjà mis sur pied un programme de cet ordre, et il était souhaitable de voir les deux grandes puissances démocratiques associer leurs
efforts.
L'entrée en guerre des États-Unis, en décembre 1941, allait donner une impulsion décisive aux recherches américaines. Baptisées « Manhattan Project », les études étaient menées dans le plus grand secret par une équipe de savants, placés sous la direction de Robert Oppenheimer et littéralement
prisonniers sur la base de Los Alamos, en plein coeur du désert du Nouveau-Mexique.
A la fin de l'été 1944, deux bombes l'une à l'uranium 235, l'autre au plutonium étaient en cours d'élaboration et, à l'automne, le Brigadier General Leslie Groves mettait sur pied une formation spéciale chargée de leur mise en oeuvre.
Paul W. Tibbets photographié sur l'aéroport de Cincinnati moins de trois semaines avant le raid sur Hiroshima.
Le poids de cette nouvelle bombe devant être de l'ordre de 4 500 kg, le seul appareil susceptible de la transporter était le Boeing B-29. Le choix de Groves se porta donc sur le Bomber Squadron 393, appartenant au 504th Bomber Group, équipé de Superfortress et stationné à Fairmont Field (Nebraska).
En septembre 1944, ce squadron, comprenant quinze bombardiers, fut transféré sur la base isolée de Wendover (Utah), où il commença à s'entraîner. Il était placé sous les ordres du Colonel Paul W. Tibbets, qui avait piloté le premier B-17 engagé au-dessus de l'Europe occupée, avant d'effectuer un tour d'opérations en Afrique du Nord
avec le 97th Group, et qui, de retour aux États-Unis, avait été chargé de la mise au point opérationnelle du B-29.
Dès sa prise de commandement, Tibbets, qui, au départ, était seul à connaître la nature exacte de la mission confiée à son unité, entreprit de réunir les hommes dont il avait pu apprécier les qualités lors de ses précédentes affectations. Il fit ainsi appel au Captain Lewis, un des meilleurs pilotes de B-29, au Major Ferebee, qui avait
été son bombardier en Afrique du Nord, et au Captain Van Kirk, qui avait été son navigateur en Europe. Associés à quelques autres, ces aviateurs constituèrent ce que Tibbets considérait comme son équipage personnel, avec lequel il devait lancer la première bombe atomique.
Les hommes du Squadron 393 ne tardèrent pas à comprendre que le caractère spécial de leur mission tenait à la mise en oeuvre d'une arme nouvelle. De fait, Tibbets leur avait donné des indications sur les dimensions, le poids de la bombe et, surtout, sur la procédure de lancement.
Les vols d'entraînement s'effectuaient avec des appareils isolés, lâchant des bombes factices de 4 500 kg à une altitude de 9 000 m. Tibbets ne cessait d'insister sur la nécessité d'éloigner l'avion le plus possible de l'objectif avant l'explosion de l'engin. Après avoir largué le projectile factice, les bombardiers effectuaient donc un virage serré de manière
à se trouver à 8 km environ du lieu de l'explosion.
Une unité spéciale d'artificiers (chargés de l'amorçage de la future bombe) vint se joindre à l'équipe d'assistance au sol, et, le 17 décembre 1944, le 509th Composite Group était déclaré opérationnel. Une autre formation fut encore constituée : le Troop Carrier Squadron 320. Sa création avait pour objectif de renforcer les mesures
de sécurité en évitant d'utiliser des appareils extérieurs au Group pour les liaisons entre Wendover et les différents centres impliqués dans le projet.
A la fin du mois d'avril 1945, alors que la fabrication des deux premières bombes atomiques touchait à sa fin, le 509th Group fut transféré sur le terrain de North Field, dans l'île de Tinian (archipel des Mariannes), base du 21st Bomber Command, qui menait des opérations de bombardement conventionnelles contre le Japon, situé à 2 400 km.
Les hommes étaient logés dans des baraquements spéciaux, soigneusement isolés, et les appareils (des B-29 neufs, construits par Martin), placés sous surveillance constante. Le Group effectua alors des missions d'entraînement avec des bombes conventionnelles contre l'île de Rota (à 80 km au sud de Tinian), dans laquelle une garnison japonaise se trouvait isolée
après l'avance américaine dans le Pacifique central.
le centre d'Hiroshima après l'explosion qui détruisit plus des trois quarts des habitations sur une superficie de 13 km2, tuant instantanément un millier de personnes (beaucoup périrent ensuite du fait des radiations).
En prévision du vol décisif, une liste d'objectifs avait été établie, dans laquelle figuraient au départ Kyoto, Hiroshima, Yokohama et Kokura. Mais, sur la demande de Henry Stimson, secrétaire d'État à la Défense, Kyoto, l'un des plus grands centres historiques et culturels du Japon, fut remplacé par Niigata.
De même, il fut décidé d'épargner Yokohama, en raison de son importance portuaire, au détriment de Nagasaki. Finalement, c'est Hiroshima qui fut choisi comme premier objectif; en raison de la netteté de son plan, la ville était, en effet, facilement identifiable à 9 000 m d'altitude. En outre, d'après les services de renseignements américains, c'était
la seule qui ne comptât aucun camp de prisonniers de guerre alliés.
La bombe à l'uranium 325, baptisée « Little Boy », devait être employée au cours du premier raid, et les savants, sûrs de son bon fonctionnement, ne jugèrent pas nécessaire de procéder à une explosion expérimentale. En revanche, le dispositif d'amorçage de la bombe au plutonium (appelée « Fat Man ») étant très
complexe, les responsables prirent la décision d'effectuer un essai. 11 eut lieu le 16 juillet 1945 dans le désert d'Alamogordo (Nouveau-Mexique) et se révéla entièrement satisfaisant.
A partir du 20 juillet, le Bomber Squadron 393 entreprit une série de raids à haute altitude au-dessus du Japon : utilisant des bombes conventionnelles, des petites formations de deux à six appareils expérimentaient les tactiques prévues pour le largage des armes nucléaires. Ces raids offraient en outre l'avantage d'habituer la défense japonaise à des incursions de
ce genre, de manière qu'elle ne pressente rien d'anormal le jour où aurait lieu le raid décisif.
Par mesure de précaution supplémentaire et pour limiter les soupçons qu'auraient pu susciter ces sorties isolées, les marques d'identification du Bomber Squadron 393 (une pointe de flèche inscrite dans un cercle) furent remplacées par des marques d'autres unités de la 20th Air Force. Encore que, étant donné l'altitude de vol prévue, les avions n'eussent
pas à redouter les réactions de la chasse ou de la défense antiaérienne.
Au début du mois d'août, « Little Boy » arrivait à Tinian à bord du croiseur Indianapolis. Le Japon ayant rejeté les propositions de reddition inconditionnelle faites par les Alliés, le président Truman prit la déci• sion de recourir à l'arme nucléaire. Une fosse spéciale fut creusée sur le terrain de North Field pour recevoir
la bombe, et le B-29-35.M0 (séria] 44-86292) chargé de l'opération fut remorqué juste au-dessus.
L'engin mesurait environ 3 m de long et 70 cm de diamètre. pour un poids de 4 100 kg. Le « coeur », composé d'uranium 235, ne pesait que 10 kg et était réparti en deux demi-sphères, l'une et l'autre inférieures à la « masse critique ». L'engin était, en effet, du modèle « canon ». A l'intérieur d'un tube de métal,
deux charges explosives devaient violemment projeter l'une contre l'autre les deux demi-sphères, constituer une charge supérieure à la « masse critique », provoquant ainsi l'amorçage de la réaction en chaîne et l'explosion.
Vues de Nagasaki après l'explosion de la seconde bombe, le 9 août 1945.
Compte tenu de la météo, la date de l'opération fut fixée au 6 août 1945. Sept B-29 devaient y participer. L'un prendrait position dans l'île d'Iwo-Jima, sur la route du Japon, pour remplacer l'appareil porteur de la bombe en l'occurrence le B-29 de Tibbets, qu'il avait baptisé Enola Gay, du nom de sa mère au cas où il serait victime d'ennuis mécaniques.
Trois autres devaient le précéder au-dessus de l'objectif, afin de lui communiquer les renseignements météorologiques nécessaires. Enfin, les deux derniers l'accompagneraient, chargés l'un de procéder aux mesures qui permettraient de juger des effets de l'explosion, l'autre de filmer les différentes phases de l'opération.
Le 6 août 1945, à 2 h 45 (heure locale), l'Enola Gay décollait de Tinian, avec un équipage composé de Tibbets (commandant de bord), Bob Lewis (copilote), Ferebee (bombardier) et Van Kirk (navigateur). Au cours du vol, le Captain William Parsons, de l'US Navy, qui avait reçu une formation spéciale à Los Alamos en prévision du raid, procéda dans la soute
à l'armement de la bombe atomique. Le vol fut sans histoire et se déroula conformément aux prévisions.
Après avoir été averti par les avions de reconnaissance que les conditions atmosphériques étaient excellentes au-dessus d'Hiroshima, le B-29 se dirigea sur la ville, sur laquelle il largua la bombe à 8 h 15 (heure locale). Elle éclata à 600 m au-dessus du sol, et, en un éclair, les 400 000 habitants de Hiroshima furent victimes d'un abominable cataclysme, qui
se traduisit par une série d'ondes successives : une onde lumineuse accompagnée de radiations, plus forte que « mille soleils »; une onde de chaleur de plusieurs centaines de degrés à l'épicentre; une onde de choc et une onde sonore qualifiée de « terrible ».
Au total, l'explosion devait faire près de 130 000 victimes, dont 92 000 tués et disparus. On ne put retrouver que 50 000 cadavres, affreusement brûlés ou déchiquetés par des éclats de verre et de bois transformés en milliers de poignards. Plus de 40 000 personnes s'étaient littéralement volatilisées sous l'effet de la chaleur et du souffle de l'explosion.
Le nombre élevé des victimes s'expliquait, indépendamment de la puissance de la bombe, évaluée à 20 kilotonnes (20 000 t de tolite), par le fait que la fin de l'alerte aérienne était intervenue quelques minutes avant le lancement, et qu'une grande partie de la population se trouvait dans les rues. Compte tenu du petit nombre d'avions américains repérés,
les services de défense japonais n'avaient pas jugé nécessaire de maintenir les habitants dans les abris.
Le B-29 de Tibbets avait parfaitement suivi la procédure recommandée. Après avoir exécuté un virage serré à 180°, l'appareil se trouvait éloigné de 9 km au moment de l'explosion, ce qui ne l'avait pas empêché d'être violemment secoué par deux ondes de choc successives. L'équipage, qui avait revêtu des lunettes spéciales
à verres teintés, avait pu voir la ville disparaître dans un océan de flammes et de fumée, avant de suivre l'ascension du funèbre nuage en forme de champignon jusqu'à une altitude de 18 000 m. L'Enola Gay put ensuite rejoindre Tinian sans aucune difficulté.
Vues de Nagasaki après l'explosion de la seconde bombe, le 9 août 1945.
Le cabinet de Tokyo restant toujours silencieux au sujet de l'offre de capitulation émise par les Alliés, le gouvernement américain prit la décision de lancer la seconde bombe nucléaire, la seule disponible d'ailleurs à l'époque. Il s'agissait de « Fat Man », la bombe au plutonium, qui, en dépit de sa forme trapue, avait pu être introduite dans la
soute d'un B-29. Toujours pour des raisons météorologiques, la date de la mission fut fixée au 9 août, et Tibbets désigna pour ce raid le Major Charles W. Sweeney, commandant du Bomber Squadron 393. L'avion porteur de la bombe le B-29 44-27297 baptisé Bock's Car décolla du terrain de North Field le jour prévu, à 2 h 30.
Mais ce second raid fut marqué par des incidents multiples. Dès le départ, l'équipage ne put que constater la défaillance d'une pompe d'alimentation interdisant d'utiliser le carburant d'un des réservoirs. L'objectif choisi était Kokura. Mais, en dépit des rapports optimistes des appareils de reconnaissance, Sweeney put constater en arrivant au-dessus de la ville que
les conditions atmosphériques s'étaient considérablement dégradées et que Kokura disparaissait sous une mer de nuages.
Le bombardement devant s'effectuer à vue et non au radar, le Bock's Car survola pendant une vingtaine de minutes Kokura, inconsciente de la terrible menace qui pesait sur elle. Mais l'équipage ne put découvrir la moindre percée dans la couverture nuageuse. En dépit de la baisse inquiétante des réserves de carburant, Sweeney prit alors la décision de se diriger vers
le second objectif, Nagasaki, à 150 km au sud.
Là aussi, les conditions atmosphériques étaient défavorables : la cité était noyée dans les nuages et la brume. Il était sur le point de renoncer à sa mission, quand le bombardier découvrit enfin une déchirure, laissant apparaître un quartier de la ville entourant un stade.
La bombe fut alors lancée à 10 h 50 (heure locale), d'une altitude de 8 800 m, et « Fat Man », suspendue au bout de son parachute, explosa comme prévu. Les effets de cette seconde explosion furent plus limités qu'à Hiroshima, en raison de la topographie de Nagasaki. Un alignement de collines réduisit les effets de l'onde de chaleur et de l'onde de choc, et préserva
la la ville. On devait compter finalement 95 000 victimes, dont 35 000 morts. Ses réserves de carburant étant épuisées, le B-29 ne put regagner directement la base. Il dut atterrir en catastrophe à Okinawa, avec un autre appareil également à court d'essence.
Le Boeing 8-29 « Superfortress », baptisé Bock's Car par son équipage, qui lança la bombe « Fat Man » sur Nagasaki. Comme sur l'appareil de Tibbets, les tourelles de défense avaient été supprimées afin de gagner en charge utile. La bombe pesait 4 100 kg.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le lancement des deux bombes atomiques a fait l'objet d'âpres controverses. D'aucuns en ont contesté l'utilité : le Japon, étant à l'époque coupé de ses possessions extérieures, sans marine de guerre et de commerce, soumis à des raids aériens dévastateurs, se trouvait à la limite de l'asphyxie.
En réalité, la destruction d'Hiroshima et de Nagasaki, s'ajoutant à la déclaration de guerre de l'U.R.S.S., permit au mikado d'imposer la capitulation à son armée, décidée à lutter jusqu'au bout, même en cas d'un débarquement des Américains, qui se serait traduit par de lourdes pertes pour les Alliés et par des millions de victimes pour les Japonais.