LE DÉFI AUSTRALIEN
La Commonwealth Aircraft Corporation a permis, à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, le démarrage de l'industrie aéronautique australienne.
C'est sur l'initiative d'Essington Lewis, directeur général de la Broken Hill Proprietary Co. Ltd., que l'industrie aéronautique australienne vit le jour en 1936, avec la création le 17 octobre de la CAC (Commonwealth Aircraft Corporation).
Formée grâce à la participation de six des principales sociétés travaillant en Australie, avec un capital de départ de I million de livres sterling, la CAC a produit dans son usine de Fisherman's Bend (Melbourne), pendant la Seconde Guerre mondiale, 755 Wirraway, 202 Wackett Traîner, 2 Woomera, 250 Boomerang et un certain nombre de P-51 D Mustang.
De nos jours, la CAC est toujours la propriété des firmes Broken Hill, Nobel Australia, Rolls-Royce, Peninsular and Oriental et Electronic Zinc. Elle contrôle à son tour Rex Aviation, le distributeur australien des productions Cessna.

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Commonwealth CA-12 « Boomerang
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Commonwealth CA-12 « Boomerang
Caractéristiques
envergure : 10.97 m
longueur : 8,15 m
hauteur : 3,96 m
masse à vide : 2 472 kg
masse totale : 3 175 kg
Performances
vitesse maximale : 490 km/h
vitesse de croisière : 440 km/h
plafond pratique : 8 840 m
autonomie : 1 495 km
Moteur
1 CAC Pratt & Whitney R-1830.S3C4-G de 1 200 ch
Armement
2 canons de 20 mm
4 mitrailleuses de 7,7 mm
La « bonne à tout faire australienne » le Wirraway
En mai 1935, le gouvernement australien annonce un programme d'expansion de la RAAF (Royal Australian Air Force) : 1 500 avions en première ligne pour 1937, soit le doublement des effectifs des unités en un temps relativement court. L'Australie dépend alors exclusivement de la Grande-Bretagne pour ses fournitures aéronautiques. Vu l'urgence de la situation et l'importance du plan d'expansion,
les autorités acceptent de cautionner la création de la CAC et la construction d'un modèle d'avion en Australie même. Toutefois, pour gagner du temps, on commencera de produire sous licence une machine et un type de moteur.
Le choix se porte sur le North American NA-33. Cette décision est ouvertement critiquée au Parlement australien, l'appareil « n'étant pas un produit de l'Empire britannique ». Cela ne change rien aux plans, d'autant que le critère essentiel ayant présidé à ce choix est la facilité de construction de l'avion, celle-ci ne posant aucun problème technique
d'importance pour l'industrie australienne.
Les licences de la cellule et du moteur Pratt & Whitney Wasp sont facilement acquises, et la fabrication en série est immédiatement planifiée. La version australienne est surnommée « Wirraway » (Défi, en langue aborigène). Deux exemplaires sont importés des États-Unis : un NA-32 à train fixe (NA-16.1A pour les Australiens), puis un NA-33 à
train rentrant (NA-I 6.2K). Une fois testés, ils sont pris en compte, respectivement le 2 février et le 8 novembre 1938, par la RAAF (sériais A20-1 et A20-2).
La désignation d'usine de l'appareil est CA-1 (A20 pour la RAAF), et diverses modifications lui sont apportées : aile et empennages redessinés et renforcés; possibilité d'emport d'une caméra, d'une radio et de 135 kg de bombes; installation de deux mitrailleuses de 7,69 mm sous le capotage-moteur. Le prototype (A20-3) vole le 27 mars 1939 à Fisherman's Bend, piloté
par le Flight Lieutenant « Boss » Walker. Son moteur est un Pratt & Whitney R-1340.S1 HI-G de 600 ch. Il vole à 354 km/h, possède une autonomie de 820 km et une vitesse ascensionnelle de 590 m/mn.
En juillet 1939, la RAAF prend en compte les premiers des quarante Wirraway initiaux, prototype compris (sériais A20-3 à A20-42). A partir du printemps 1940 suivent soixante CA-3 (A20-43 à A20-102), et trente-deux CA-5 (A20-103 à A20-134), plus cent CA-7 (A20-135 à A20-234). A la fin de 1940, la CAC produit sept avions par semaine. Jusqu'en juin 1942, l'usine construit encore deux cents
CA-8 (A20-235 à A20-434) et cent quatre-vingt-huit CA-9 (A20-435 à A20-622).
Enfin, une dernière commande porte sur cent soixante CA-16, dont seuls cent trente-cinq sont construits (A20-623 à A20-757). Toutes ces versions ne diffèrent entre elles que par des détails de structure et d'équipement. La RAN (Royal Australian Navy) reçoit un CA-1, un CA-3, huit CA-7, deux CA-8, quatre CA-9 et un CA-16, tous navalisés et redésignés CA-20. En
tout, 755 Wirraway sont livrés.
Lorsque se déclenchent les hostilités dans le Pacifique, seize squadrons australiens opèrent sur Wirraway. Conçus pour l'instruction, ils sont dès lors jetés dans la bataille et y servent à « toutes les sauces », du bombardement en piqué au réglage des tirs d'artillerie, en passant par la reconnaissance, la coopération, la chasse, l'interception,
le « straffing » et, en fin de carrière, l'entraînement.
Le 26 décembre 1942, un Wirraway devient célèbre dans tout le Pacifique Sud en abattant un Zero japonais. Son pilote, le Pilot Officer John Archer, a piqué sur sa proie, tiré dans le cockpit et tué le pilote ennemi. Il s'agit là de la seule, mais combien inattendue, victoire aérienne d'un Wirraway sur un chasseur adverse.
A la mi-1943, les Wirraway ont disparu des premières lignes, remplacés par les Boomerang, et servent désormais à l'entraînement.

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un alignement de Wirraway sur le terrain de la CAC à Fisherman's Bend pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce type d'avion servit à toutes les sauces du straffing à l'entraînement dans seize squadrons de la RAAF.
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Certains resteront en service jusqu'à la fin des années cinquante. Quelques-uns seront vendus à des civils qui en feront des avions à usage agricole, d'où le développement du CAC CA-28 « Ceres », destiné au même emploi, à partir des éléments principaux du Wirraway. Enfin, quelques CA-16 ont servi pendant la guerre, transformés
en monoplaces et emportant ainsi quelque 680 kg de bombes.
Les concepts de Lawrence Wackett Le second modèle produit par la CAC est aussi le premier-né de son bureau d'études. Monomoteur monoplan à aile basse, biplace en tandem, construit en bois avec train fixe, volets d'intrados et deux réservoirsd'essence de 77 litres, cet appareil d'instruction est désigné CA-2 et surnommé « Wackett Traîner », en
hommage au dessinateur en chef de la CAC : Lawrence Wackett. Deux prototypes sont construits et testés fin 1939 : l'un, équipé d'un moteur De Havilland Gipsy Major II en ligne de 200 ch, l'autre d'un Gipsy VI.

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Une patrouille du Squadron 5 de la RAAF. Cette unité utilisa le Boomerang en 1944 et 1945, principalement pour des missions d'attaque au sol dans le sud-ouest du Pacifique contre les Japonais.
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Mais l'Europe est en guerre, et les moteurs en provenance de la Grande-Bretagne se font rares. Aussi opte-t-on pour un moteur en étoile, le Warner Super Scarab de 175 ch pour équiper les deux cents Wackett Traîner CA-6 de série. Construits entre mai 1941 et avril 1942, ceux-ci servent à l'entraînement des pilotes et des opérateurs radio. Après la guerre, une trentaine
d'appareils sont soldés aux 1ndes néerlandaises; devenue indépendante, l'Indonésie en acquiert encore quelques exemplaires, dont elle se sert comme monoplaces. Plusieurs vont aux aéro-clubs australiens.
En 1940, le cabinet de guerre australien accorde un crédit de 50 000 livres pour le développement d'un bombardier torpilleur conçu par la CAC. L'appareil est alors simplement mentionné sous la référence Wackett Bomber Project. Prometteur sur le papier, désigné CA-4 et surnommé « Wackett Wonder », puis « Woomera », ce bimoteur est à
l'étude depuis 1939 et doit en principe remplacer les Bristol « Beaufort » construits sous licence en Australie.
Presque entièrement métallique (certains revêtements sont en contreplaqué), le CA-4 présente quelques caractéristiques d'avant-garde : deux tourelles, télécommandées depuis le poste arrière de l'habitacle au moyen d'un système de visée télescopique, sont montées en queue des fuseaux-moteurs, à leur partie supérieure.
Elles sont armées de deux mitrailleuses de 7,69 mm tirant en retraite. De plus, ces nacelles-moteurs reçoivent le train rétractable (la roulette de queue est fixe) et servent de soute pour deux bombes de 114 kg accrochées de part et d'autre de chaque jambe.
Les charges externes comprennent notamment deux torpilles de fort calibre, fixées sous les emplantures de l'aile. Trois hommes prennent place à bord : le pilote, qui commande le tir des armes de nez (quatre mitrailleuses de 7,69 mm); le copilote mitrailleur-opérateur radio; le mitrailleur ventral arrière, qui sert une mitrailleuse Vickers tirant en retraite vers le bas. Les moteurs Pratt &
Whitney Twin Wasp R-1830.S3C3-G de 1 100 ch disposent au total de 5 087 litres d'essence, dont 2 660 litres transportés en deux bidons largables accrochés à la place des torpilles.
Le prototype CA-4 (A23-1001) vole le 19 septembre 1941, onze mois après le début des travaux de construction. Si le programme est prometteur, les essais le sont moins. L'avion est instable, les gouvernes sont peu efficaces, et les moteurs ont tendance à surchauffer. Par contre, c'est une excellente plate-forme de tir pour les armes avant et la Vickers, tandis que les tourelles souffrent d'un manque de
mise au point de la télécommande.
Le 15 janvier 1943, le CA-4 s'écrase à la suite de l'explosion d'un des moteurs en vol. Deux hommes périssent dans l'accident, le pilote seul ayant eu le temps de se parachuter. Entre-temps, la RAAF avait commandé cent cinq CA-11 de série (marché n° 2-42). Mais, du fait de l'accident du CA-4 et d'une certaine redistribution des priorités, les travaux sont ralentis sur
le premier exemplaire. Quand le CA-11 (A23-1) sort d'usine à la mi-1944, il est déjà trop tard. Les arrivages de Boston, de Mitchell et de Liberator américains ont rendu le Woomera inutile.
Seuls vingt exemplaires sont maintenus en commande. Finalement, malgré ses meilleurs résultats, sa verrière allongée, ses aile et empennages redessinés, son armement modifié (deux canons de 20 mm, plus deux mitrailleuses de 7,69 mm dans le nez), le programme est abandonné officiellement à la fin de 1945. Stocké dans un premier temps, le CA-11 I est ferraillé
en 1946.
La seconde « bonne à tout faire » australienne : le Boomerang
Après l'attaque surprise contre Pearl Harbor le 7 décembre 1941, la marée japonaise vient bientôt menacer Port Darwin, au nord de l'Australie, laquelle ne possède encore que ses Wirraway pour parer à toute éventualité. De plus, ses équipages sont pour la plupart déjà répartis sur les théâtres d'opérations britanniques,
méditerranéens et malais. Aussi faut-il rapidement concevoir un nouveau modèle de chasseur.
Le contrat de licence du NA-33 autorisant les modifications jugées opportunes par l'exploitant, la CAC décide d'utiliser la cellule de base du Wirraway et le moteur du Beaufort pour créer le CA-12 Boomerang, premier chasseur national. La décision, prise le 10 décembre 1941, est approuvée dix jours plus tard et, quatorze semaines après, le premier prototype vole. Entre-temps,
le 2 février 1942, cent cinq machines de série ont été commandées « littéralement sur papier ».
Monomoteur à aile basse, le Boomerang emprunte la section centrale de l'aile, le train d'atterrissage et la queue au Wirraway. Son moteur Pratt & Whitney de 1 100 ch lui permet de voler à 490 km/h. Il est moins rapide que ses contemporains, mais grimpe et vire mieux qu'eux. De plus, sa maniabilité est exceptionnelle. Lors de simulacres de combat avec un P-40E et un P-39D, plus rapides, le Boomerang
réussit à chaque fois à prendre ses « adversaires » en défaut, ne leur laissant que l'échappatoire du piqué pleins gaz pour rompre le combat.
A l'aise à 3 000 m, il a été conçu pour intercepter les bombardiers volant bas ou les chasseurs bombardiers, évoluant encore plus bas. Construits entre mai 1942 et juin 1943, les cent cinq premiers Boomerang sont désignés CA-12 (A46-1 à A46-105). Ils sont suivis de quatre-vingt-quinze CA-13 (A46-106 à A46-200) et de l'unique CA-14/CA-14A (nouvelle voilure déjà
testée sur le CA-12 sériai A46-103). Puis viennent quarante-neuf CA-19 (A46-20I à A46-249).
Les différences entre ces versions sont minimes : le CA-I3 a un nouveau tube d'échappement avec pare-flammes, des ailerons à revêtement métallique et des saumons d'aile en bois. Le bilan électrique est amélioré, et les armes sont approvisionnées mécaniquement. Le CA-I9 a de nouveaux pneus et certains exemplaires emportent une caméra de reconnaissance.

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en vol, l'un des deux cents biplaces d'entraînement du type Wackett construits au début des hostilités.
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Chasseur intercepteur à l'origine, le Boomerang n'abattra aucun avion ennemi. La RAAF l'utilisera pour remplacer les Wirraway. La reconnaissance, le marquage d'objectifs, l'attaque au sol, le largage d'approvisionnements, le réglage des tirs d'artillerie et, très accessoirement, l'interception sont les missions quotidiennes des Boomerang. Leur unique chance de palmarès se présente à
deux pilotes du Squadron 84 dans le secteur de Merauke, sous la forme de trois Betty japonais.
Les deux chasseurs attaquent de conserve à 200 m, mais les deux canons et les quatre mitrailleuses du premier refusent de tirer, tandis que les armes de l'autre ne font feu qu'une seconde et demie avant de s'enrayer. Rappelons que des blindages protègent le dos du pilote, que le pare-brise frontal est blindé et que le CA-12, le CA-I3 et le CA-19 peuvent transporter une bombe de 225 kg ou un bidon largable
sous le fuselage.
Le dernier des Boomerang est livré en février 1945, alors que la plupart d'entre eux ont déjà été remplacés par des Mustang construits sur place, des Spitfire et des Kittyhawk. Dès lors, tous les Boomerang vont servir à l'entraînement.
Arrivé trop tard, le CA-15
Le 4 mars 1946, le terrain de Fisherman's Bend accueille un nouvel hôte : le CA-15, qui ressemble au P-5I D américain (venu là pour subir des essais jusqu'en juin), et qui est le dernier-né de la CAC. C'est un chasseur monoplan à aile basse entièrement métallique, dont le projet remonte à 1942. Encouragée par les excellents résultats obtenus avec le Boomerang,
la firme veut aller plus loin.
Elle retient pour le CA-11 5 le moteur Rolls-Royce Merlin construit par Packard aux États-Unis. Puis c'est le Pratt & Whitney R-2800.10W (18 cylindres) Double Wasp de 2 000/2 300 ch qui est retenu. Enfin, en 1944, le choix se porte sur le Rolls-Royce Griffon de 1 820 ch à 6 400 m.
Avec six mitrailleuses de 12,7 mm dans les ailes et deux bombes de 453 kg, de 225 kg ou dix roquettes sous la voilure, l'avion apparaît d'autant plus redoutable qu'aux essais tout marche bien, aucun vice n'est détecté, et les performances sont exceptionnelles. Mais il est trop tard. L'Australie a opté pour les chasseurs à réaction.