Lors du débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, une armada aérienne sans précédent assura la couverture des opérations navales et terrestres
Le débarquement allié du 6 juin 1944 - l'opération « Overlord » - exigea de nombreux mois de préparation. Des reconnaissances photographiques très détaillées de toute la côte française de la Manche et des missions de bombardement des stations radar allemandes comme du mur de l'Atlantique furent menées à grande échelle pour détourner l'attention de l'ennemi des sites prévus pour le débarquement. Le pas de Calais fut l'un
des objectifs les plus attaqués, pour faire croire à l'ennemi que les alliés choisiraient le chemin le plus court vers le continent.
Une couverture aérienne massive de la zone de débarquement fut prévue, ainsi qu'une série d'opérations ponctuelles coordonnées dans le plan d'ensemble en vue d'assurer le succès de la phase navale « Neptune ». L'appui des troupes devait être confié à l'Allied Expeditionary Air Force (AEAF), dont le commandant en chef était l'Air Chief Marshal Sir Trafford Leigh-Mallory, de la RAF.
posé sur une piste de fortune aménagée à proximité d'une tête de pont alliée,ce P-38 Lightning arbore les bandes noires et blanches caractéristiques de l'opération « Overlord
Composée des chasseurs et des bombardiers de la 9th Air Force et des squadrons de la 2nd Tactical Air Force, l'AEAF comprenait également les avions remorqueurs et les planeurs des troupes aéroportées britanniques et américaines, qui devaient arriver à l'arrière du mur de l'Atlantique. Le commandement de la chasse de la RAF fut aussi temporairement intégré dans l'AEAF pour faire face à d'éventuelles représailles de la
Luftwaffe
contre les ports d'où partait la flotte d'invasion.
Marquage des avions
Pour éviter toute erreur d'identification, les avions engagés dans l'opération « Overlord » portaient des bandes blanches et noires peintes sur les deux demivoilures et l'arrière du fuselage. Le marquage des appareils de l'AEAF eut lieu le 4 juin 1944 au soir, et, malgré un temps maussade et couvert, les équipages se doutaient que le jour J était proche. Quelques jours plus tôt, en Grande-Bretagne, toutes les légations
et
ambassades étrangères s'étaient vu interdire l'envoi de messages codés. Les organismes alliés eux-mêmes tombaient sous le coup de ce décret, à l'exception des États-Unis et de l'Union soviétique. Cette mesure souleva de vives protestations, mais Churchill passa outre et empêcha qui que ce fût de quitter le territoire britannique sans une autorisation spéciale.
Avant le 6 juin 1944, l'activité des squadrons se concentrait sur la préparation de ce débarquement, avec pour objectifs principaux les ponts, les gares de triage, les terrains de la Luftwaffe dans un rayon de 250 km autour de Caen, les noeuds routiers, etc., de la Bretagne aux Pays-Bas. Les voies de communication furent presque toutes paralysées.
A la veille de l'opération « Overlord », une dizaine de batteries côtières équipées de radars furent bombardées, entre autres Houlgate, Fontenay-Crisbecq, Ouistreham, La Pernelle, et une centaine d'Avro « Lancaster » larguèrent leurs bombes sur Merville, très peu de temps avant l'arrivée des troupes aéroportées.
Le pilonnage des têtes de pont
Quand Overlord se déclencha, le pilonnage des objectifs fut confié à la 8th US Air Force : volant en formation au-dessus des Midlands, 659 Flying Fortress et 543 Liberator franchirent la côte anglaise entre Selsey Bill et Beachy Head, traversèrent la Manche et, en trois vagues, larguèrent plus de 3 000 t de bombes sur les fortifications du mur de l'Atlantique.
Au retour, ils survolèrent Cherbourg, contournèrent les îles
AngloNormandes et regagnèrent leurs bases en passant au-dessus de Portland Bill. Tandis que les chasseurs de la 8th Air Force (P-38 Lightning, P-47 Thunderbolt et P-51 Mustang; au total, l 347 avions) attaquaient les aérodromes ennemis entre la Seine et la Loire, les bombardiers - en trois vagues - poursuivaient leur activité à l'intérieur du pays.
L'USAAF effectua ainsi 2 362 sorties, y compris les missions des Flying Fortress chargées de larguer des tracts au-dessus de ThuryHarcourt, Saint-Lô et Caen, tracts demandant à la population civile d'évacuer les zones dangereuses.
Les Marauder et les Douglas A-20 « Havoc » du 9th Bomber Command américain ainsi que les Mitchell et les Mosquito de la 2nd Tactical Air Force de la RAF commencèrent à bombarder des objectifs sur la côte dés 3 h 45 du matin, apportant ainsi leur aide aux troupes qui se préparaient à débarquer.
le visage barbouillé de suie, ces parachutistes alliés s'apprêtent à sauter en territoire français
Les troupes aéroportées
Tandis que les bombardiers s'en prenaient aux plages, les troupes aéroportées entraient en action. Vers minuit, la 82nd et la 101st Airborne Divisions (divisions aéroportées américaines) s'embarquaient sur des terrains situés dans les Midlands et dans le sud-ouest de l'Angleterre. Elles avaient pour mission de protéger les régions de Sainte-Mère-Église, Carentan et Isigny et de détruire toutes les lignes de communication
allemandes.
Les troupes aéroportées britanniques devaient se poser au bord du canal de Caen et de l'Orne, précédées de quelques minutes par des parachutistes chargés de baliser les zones d'atterrissage des planeurs. En effet, les photographies prises quelques jours plus tôt révélaient une floraison de piquets dressés dans la plupart des prairies en vue d'empêcher tout atterrissage.
Les planeurs américains et britanniques Waco CG-4A, Horsa et Hamilcar (ce dernier pouvant transporter de l'équipement lourd, une Jeep ou un char d'assaut léger) étaient remorqués la plupart du temps par des Dakota, des Halifax ou des Armstrong Whitworth « Albemarle ». Volant en formations compactes, ils acheminaient vers la Normandie des renforts, de l'armement lourd et du ravitaillement pour les parachutistes. Au total,
867 planeurs devaient prendre part à ces opérations.
Remorqués par des Douglas C-47, les planeurs Horsa et Hadrian atterrissent dans le bocage normand
Parallèlement à l'action des troupes aéroportées, des quadrimoteurs Stirling larguaient au-dessus de la Bretagne des parachutistes français sous les ordres de Pierre Marienne, qui furent bientôt rejoints par les cinq cents hommes que commandait Bourgoin. Ces parachutistes devaient tenir en haleine près de 10 000 Allemands, les immobilisant et les empêchant de partir en renfort vers les plages du débarquement.
Manoeuvres de diversion
Les Allemands s'attendaient, certes, à un débarquement allié, mais dans la région de Calais. Pour tromper l'ennemi, les Alliés constituèrent une armée factice avec la participation d'unités se trouvant en Écosse. Les photographies ramenées par les appareils de reconnaissance de la Luftwaffe donnaient à penser qu'un débarquement pourrait également avoir lieu en Norvège. La même tactique fut utilisée dans le sud-est de
l'Angleterre,
aux environs de Folkestone.
De plus, des concentrations de convois renforcèrent l'état-major allemand dans la conviction que, si une telle opération devait avoir lieu, elle se déroulerait en direction d'un port important du pas de Calais. Mais Rommel affirmait : « L'attaque doit être enrayée sur les plages. Si on laisse les Alliés avancer au-delà, tout sera perdu. Ils détiennent incontestablement la maîtrise de l'air, et leur force aérienne serait
alors en mesure d'arrêter toute intervention de nos troupes de réserve. »
Le plan de l'opération « Overlord » avait été minutieusement préparé. Les Britanniques devaient débarquer dans la région de Caen, Arromanches et Bayeux (ces trois secteurs portaient les noms de code « Sword », « Juno » et « Gold »), les forces américaines devant prendre pied dans le Cotentin, les têtes de pont étant « Omaha Beach » et « Utah Beach ».
Alors que l'armada alliée faisait route vers ces secteurs, des mesures de diversion furent parallèlement mises en place (et non sans raison, l'état-major allemand restant convaincu que les radars détecteraient l'approche des navires alliés) : brouillages radio effectués entre autres par une centaine de Flying Fortress opérant sur les mêmes longueurs d'onde que les Allemands (Radio Counter-Measures); lâchers de parachutistes
factices (opération « Taxable »); simulation de convois (opération « Titanic »), etc.
Ces missions furent confiées surtout à des squadrons de la RAF volant sur Lancaster, Halifax et Stirling, dont le 138, qui avait auparavant accompli toute une série de missions spéciales en Norvège, en Yougoslavie et en Pologne; le 149, qui avait pris part au fameux raid sur Peenemünde, l'importante base d'essais de bombes volantes et d'engins spéciaux dirigée par von Braun; le 218, qui, durant la guerre, largua 13 000
t
de bombes et 2 800 mines, ainsi que le célèbre Squadron 617 des « briseurs de barrages », commandé par Leonard Cheshire.
Les Lancaster de ce Squadron 617 simulèrent, pour leur part, les échos produits par un convoi fantôme se dirigeant à près de 13 km/h de moyenne vers la zone d'Étretat. Pour simuler les embarcations, les Lancaster, en file indienne, tournaient les uns derrière les autres comme dans un carrousel; survolant un petit groupe de bateaux, munis de ballons, ils lançaient à intervalles réguliers des « Windows », petits rubans
métalliques
qui venaient inscrire sur les radars ennemis l'image d'un gigantesque convoi. Alors que leur mission s'achevait, les batteries de la Flak les prirent pour cibles, prouvant ainsi que leur mission était réussie.
Alignement de planeurs Horsa et Waco quelque part en Angleterre
Protection des convois
Selon les services de renseignements alliés, une cinquantaine de bateaux de guerre allemands croisaient entre Umuiden (Pays-Bas) et Cherbourg.
Ces navires pouvaient se révéler des obstacles dangereux lors de la mise en oeuvre des opérations de débarquement; aussi, le Coastal Command intensifia-t-il ses patrouilles audessus des convois alliés. Trois destroyers ennemis ayant été repérés, ils furent attaqués à la roquette par des Beaufighter escortés par des Mosquito.
Une base d'interception fut installée à Lee-on-theSolent (Hampshire), non loin de Portsmouth. Elle disposait de quatre squadrons de la Fleet Air Arm volant sur Spitfire et Seafire, de deux squadrons de la RAF sur Spitfire et du VCS-7, seul squadron de l'US Navy doté de Spitfire. Cette dernière unité fut chargée d'assurer la protection des convois américains faisant route vers Omaha Beach et Utah Beach.
Les réactions de la Luftwaffe furent sans grande conséquence. Les Alliés croyaient pourtant que la Luftflotte 3, basée en France, disposait de 800 avions dont 600 environ auraient pu s'opposer au déroulement des opérations en multipliant bombardements et mitraillages. En fait, les estimations alliées étaient quelque peu exagérées, et, le 6 juin, les avions allemands ne devaient effectuer qu'une centaine de sorties.
Quatre Junkers Ju-88 furent détruits et, avant d'être abattu, un Forke-Wulf 190 réussit à endommager le HMS Bulolo. II avait été prévu qu'une unité de défense des bases de la RAF organiserait la protection des têtes de pont.
Toutefois, dans la matinée, un feu nourri de mitrailleuses l'empêcha de débarquer, et, dans l'après-midi, la plupart de ses véhicules' basculèrent dans l'eau profonde en quittant les barges de débarquement, si bien que cette unité ne put être opérationnelle que quelques jours plus tard.
Dans la soirée, lorsque les têtes de pont alliées furent aménagées, des mesures furent prises pour les renforcer. Le reste de la 6th Airborne Division britannique fut acheminé par 226 Horsa, chargés de personnel et d'armement, et 30 General Aircraft « Hamilcar », emportant les véhicules blindés et les pièces d'artillerie.
Le ciel était moins couvert; aussi tous les planeurs, à l'exception d'une dizaine, se posèrent, avant 21 h 30, dans les zones prévues. Deux d'entre eux étaient tombés en mer, un troisième disparut sans laisser de trace, quant aux autres, leurs câbles de remorquage ayant été brisés, ils atterrirent en Angleterre ou encore en France, dans la zone des têtes de ponts; seul un Dakota avait été perdu du fait de l'ennemi.
En revanche, les quelque cinquante Dakota assurant le ravitaillement des troupes furent pris sous le feu de la Flak, et seul le quart des 116 t de matériel, de munitions et de vivres qu'ils transportaient parvint à destination.
Des Français à l'avant-garde
« It's D-day today! » (« C'est le jour J aujourd'hui! »). Telle est la formule lapidaire par laquelle un officier venu du QG annonça le débarquement aux hommes réunis dans la salle des briefings de Hartford Bridge, l'un des terrains de la 2nd Tactical Air Force, situé à quelques kilomètres de la base de Farnborough, à l'ouest de Londres.
A Hartford Bridge (aujourd'hui Blackbush) était basé le 137th Wing, qui comprenait trois squadrons le 222, volant sur Mitchell, et les deux seules unités de la RAF alors équipées de Boston 111 et IVA, le 88 et le 342 (ou « Lorraine »).
Ces deux derniers se livraient à des manoeuvres d'entraînement assez insolites. Dans la soute des Boston, les rituelles quatre bombes de 227 kg avaient été remplacées par de gros pots à fumée, énormes cylindres d'environ 2 m de long d'où pendaient des tuyaux d'échappement en forme de saxophone, lesquels dépassaient d'environ 50 cm sous le ventre des appareils; il suffisait que le navigateur appuyât sur le bouton qui déclenchait
le lance-bombes pour qu'une épaisse fumée blanche jaillît des « saxophones ».
Le dimanche 4 juin 1944, le commandant de la base, le Group Captain McDonald annonçait que tous les équipages étaient consignés : « A partir de cette minute, Hartford Bridge est en état d'alerte...
Vous êtes tous consignés. Il est interdit de quitter le terrain sous quelque prétexte que ce soit... Défense de téléphoner ou d'envoyer des télégrammes. Toutes les lettres seront censurées avant de quitter la base.
Si quelqu'un s'avise d'enfreindre ces ordres, il passera en cour martiale. Je dois pouvoir immédiatement mettre la main sur les équipages... Le personnel au sol vaquera à ses habituelles occupations... Tout est bien compris? »
Alignement de transport de troupes Douglas DC3
L'écran de fumée
Hartford Bridge était donc coupé du monde extérieur. Le lendemain, à 7 heures du soir, l'ordre de bataille fut affiché. Vingt-quatre équipages y étaient inscrits en première urgence (douze du Squadron 88 et douze du 342). Le briefing, c'est-à-dire l'ultime distribution des consignes, devait avoir lieu dans la nuit du 5 au 6 juin.
Après avoir ainsi indiqué que le débarquement aurait lieu cinq heures plus tard, l'émissaire du QG fit connaître le rôle assigné aux deux squadrons de Boston : déployer deux écrans de fumée entre les flottes alliées en route vers la France et les défenses côtières allemandes.
Le 88 opérerait dans le Calvados, face à Arromanches, où devait aborder la flotte britannique, le 342 devant le Cotentin, objectif de la flotte américaine. Décollant deux par deux toutes les dix minutes, les Boston devaient donc larguer leurs fumigènes de l'extrémité de l'île Saint-Marcouf à la pointe de Barfleur.
L'officier d'état-major passa ensuite la parole aux commandants des deux groupes. Celui du « Lorraine » insista sur les consignes de vol : « Rappelez-vous que la fumée que vous allez larguer est toxique et que, automatiquement, une bonne partie va s'engouffrer dans la tourelle arrière. Cela ne pourrait que jouer un mauvais tour au radio-mitrailleur.
Aussi, conservez votre masque sur le visage pendant toute la durée du vol. Quand vous étendrez votre écran, ouvrez au maximum vos bouteilles d'oxygène. Cet écran, bien entendu, doit partir du niveau de la mer. Aussi, volez le plus bas possible. »
Peu après 5 heures du matin, les Boston décollaient de Hartford Bridge. Quand ils atteignirent la Manche, la mer était littéralement couverte de navires. Prés des côtes françaises, les avions furent pris dans d'énormes vagues soulevées par les batteries déchaînées du mur de l'Atlantique ou par les bateaux alliés.
A 8 heures, ils avaient regagné leur base : deux appareils - un du Squadron 88 et un du Squadron 342 - étaient portés manquants; un troisième prit feu en se posant sur la piste de Hartford Bridge.
Une fois les écrans de fumée dissipés, les premières vagues alliées commencèrent à débarquer sur les plages. Le GQG du corps expéditionnaire allié (SHAEF) disposait de la plus grande flotte jamais rassemblée au monde, plusieurs milliers de bateaux de transport, 23 croiseurs, 122 destroyers, 360 torpilleurs ainsi que des centaines de frégates, d'escorteurs, etc.
Quant à l'aviation alliée, elle se montra particulièrement active puisqu'elle effectua 14 674 sorties (dont 5 656 pour la RAF) tout au long du jour J. Entre le 5 juin minuit et le 6 juin minuit, les pertes alliées furent de 113 appareils, la plupart des avions ayant été abattus par la défense antiaérienne allemande.
Sans cette maîtrise du ciel, il est vraisemblable que l'opération « Overlord » aurait été beaucoup plus hasardeuse.