L'ARSENAL DU DUCE
Aux fins hydravions Savoia-Marchetti des années vingt succéda une lignée de trimoteurs de bombardement qui constituèrent le fer de lance de la Regia Aeronautica dans le domaine offensif
Fondée en 1915 à Sesto Calende, sur le lac Majeur, la Società Idrovolanti Alta Italia (SIAI) se consacra dans un premier temps à la construction d'hydravions, avant de se lancer, sous le nouveau nom de Società Italiana Aeroplani Idrovolanti, dans celle des avions.

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Dérivé du type S-8, premier hydravion de série du constructeur, le type S-12 de 1917 était un bombardier bi-triplace de 480 ch apparu au lendemain de la Première Guerre mondiale
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De fait, la firme débuta son activité par la construction sous licence d'hydravions français, puis, s'étant assurée en 1917 les services de l'ingénieur Raffaele Conflenti, mit en chantier des appareils de sa conception.
Ainsi naquit le S-8, hydravion biplace à moteur Isotta Fraschini de 170 ch qui bénéficia d'une commande de neuf cents exemplaires de la part de la marine (par suite de la signature de l'Armistice, seuls cent soixante-douze furent construits). II fut le premier d'une lignée assez remarquable qui, en quelques années, projeta la SIAI au premier rang des constructeurs mondiaux en lui permettant de remporter l'un des trophées les plus enviés
de l'époque : la Coupe Schneider.
La lignée des hydravions : les premiers succès
Au S-8 succédèrent rapidement le S-9, qui ne s'en distinguait que par son moteur Fiat A-12 bis de 300 ch, puis le S-12 (propulseur de 480 ch) et le S-13, doté d'un Isotta Fraschini de 250 ch et produit en versions biplace et monoplace.
En 1919, Conflenti présenta au Salon aéronautique de Paris un nouvel hydravion, le S-16, qui obtint un brillant succès, tant comme transport pour six passagers que comme appareil de bombardement et de reconnaissance. Dans cette dernière version, il était armé d'une mitrailleuse orientable de 7,7 mm et emportait une charge de bombes de 200 kg. Son moteur Fiat A-12 bis de 300 ch fut par la suite remplacé par un Lorraine de 400 ch (S-16 ter).
Dès 1919, un S-13 modifié (envergure réduite à 8,10 m, contre 11,08 m sur les appareils de série, moteur de 265 ch entraînant une hélice quadripale); piloté par Guido Janello, fut engagé dans les épreuves de la Coupe Schneider, qui se déroulaient cette année-là à Bournemouth. L'appareil fut le seul à terminer la course, mais le résultat ne fut pas homologué, Janello s'étant vu reprocher un passage irrégulier au-dessus d'un pylône (fait qui
ne put être prouvé à cause du brouillard).
La SIAI prit sa revanche l'année suivante quand, aux commandes d'un S-12 spécialement modifié pour la compétition, le lieutenant Luigi Bologna s'adjugea la Coupe Schneider. Suivirent le S-21, un appareil aux lignes particulièrement pures, et le S-22, équipé de deux moteurs en tandem, qui ne purent être prêts à temps pour participer à la course de 1921. Cet échec relatif devait marquer pour la firme la fin d'une époque. Peu de temps après,
Conflenti quittait la SIAI pour la société française CAMS.

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rendu célèbre par les croisières d'italo Balbo, l'hydravion à double coque en catamaran Savoia S-55 fut commandé en série par la Regia Aeronautica pour le bombardement et la reconnaissance en haute mer.
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Il fut remplacé dans ses fonctions d'ingénieur en chef et de directeur technique par Alessandro Marchetti, qui, reprenant la politique de son prédécesseur, conçut en 1922 deux prototypes destinés à la compétition le S-50, dont la carrière fut brève puisqu'il fut détruit lors d'un vol d'essai, et le S-51, un magnifique sesquiplan monoplace, qui, piloté par Alessandro Passaleva, battit le 28 décembre 1922 un record de vitesse à 280 km/h et
s'adjugea la deuxième place de la Coupe Schneider.
Un appareil terrestre, le S-52, chasseur métallique biplan doté d'un moteur de 300 ch, vint interrompre une lignée qui fut développée tout au long des années vingt.
En 1924, apparurent le S-56, un amphibie d'entraînement biplace dont l'American Aeronautical Corporation produisit une cinquantaine d'exemplaires sous licence, et le S-57, un hydravion léger de chasse et de reconnaissance qui fut construit à dix-neuf unités.

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Formation de Savoia S-59 bis aux couleursvde la 182e Squadriglia
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Puis vint le prototype du S-58, chasseur monoplace qui, au cours de la même année 1924, avec Adriano Bacula aux commandes, battit le record du monde d'altitude en atteignant 5 829 m avec une charge de 250 kg.
Au S-58 succéda le triplace S-59, d'abord équipé d'un moteur Lorraine de 400 ch puis, dans sa version S-59 bis, d'un Isotta Fraschini Asso de 500 ch. Employé pour les besoins civils et militaires, il équipa pendant plus de dix ans certaines squadriglie de reconnaissance maritime. Cet appareil, qui atteignait une vitesse maximale de 210 km/h, fut employé en 1929 pour une croisière de prestige en Méditerranée orientale. II fut également vendu
à l'Argentine et à la Roumanie.
Autre appareil ayant rencontré un certain succès à l'exportation, le S-62 fut conçu en 1926. Doté d'un Isotta Fraschini de 500 ch, puis de 750 ch, ce bombardier fit l'objet d'une propagande bien orchestrée.
Une série de vols de démonstration le firent connaître dans le monde entier, et les commandes affluèrent de partout. Acheté ou produit sous licence, il vola ainsi en Amérique du Sud, en Roumanie, en Espagne et en Union soviétique, où il était connu sous le nom de MBR-4.
La production de ces hydravions avait donc placé la firme de Sesto Calende au premier plan des avionneurs mondiaux tant sur le plan des appareils de records que sur celui des engins militaires et commerciaux. Le S-55 allait encore ajouter à la renommée de la société, connue depuis 1922 sous le nom de Savoia.
L'épopée des croisières
Conçu en 1924, le S-55 était un hydravion d'une grande originalité, caractérisé par ses deux coques que reliait une aile massive abritant en son centre le poste de pilotage. Très particulier, l'empennage était constitué de deux plans de dérive et de trois gouvernails verticaux disposés sur un empennage horizontal rattaché aux coques par deux poutrelles croisillonnées.
L'appareil était propulsé par deux moteurs montés en tandem sur des pylônes ancrés sur la partie médiane de l'aile et actionnant l'un une hélice tractive, l'autre une hélice propulsive.

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immatriculé symboliquement I-ROMA, le prototype du S-71, destiné au transport de dix passagers, allait donner naissance à une remarquable série de trimoteurs civils et militaires conçus par l'ingénieur Marchetti
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Les solutions adoptées pour la construction de cet appareil suscitèrent le scepticisme des autorités, mais la démonstration de ses qualités de vol désarma rapidement toute opposition. La production en série fut lancée en 1925, un an après le premier vol, et de nombreuses versions furent extrapolées du modèle initial.
Les principales améliorations portèrent essentiellement sur les moteurs (Lorraine de 400 ch, Isotta Fraschini de 550 ch, Fiat de 600 ch puis de 700 ch et enfin Isotta Asso de 750 ch) et sur l'aérodynamisme, et permirent de faire passer la vitesse maximale de 210 à 280 km/h. II exista également une version tout métal, le S-55.M.
Construit à plus de deux cents exemplaires comme appareil de transport, il servit sur de nombreuses lignes régulières, emportant, dans ses versions S-55.C et P, respectivement dix et douze passagers; comme appareil militaire, il était pourvu de quatre postes de mitrailleur et emportait une charge de bombes ou de torpilles pouvant atteindre 1 000 kg. Ses qualités intrinsèques lui permirent de s'adjuger quatorze records du monde de vitesse,
d'altitude et de charge.
Il n'est pas étonnant que cet hydravion ait été choisi pour effectuer toute une série de raids, que la propagande mussolinienne exploita de façon intensive. En 1927, le colonel marquis De Pinedo entama un périple de 45 000 km qui le conduisit par étapes de Sardaigne au Canada, en passant par l'Amérique du Sud.
L'année suivante, les pilotes brésiliens de Barros et Braga relièrent à son bord l'Italie à leur pays d'origine. Plus spectaculaires encore furent les vols de groupe organisés par Italo Balbo (voir Balbo). Support idéal d'une propagande qui exploita au maximum ses performances, le S-55 servit durant plus de dix ans dans les rangs de la Regia Aeronautica. Encore opérationnel en 1939, il ne fut cependant jamais engagé durant les hostilités.
Cette formule, qui avait donné d'excellents résultats, fut de nouveau exploitée en 1932 avec le S-56, un hydravion qui par son aspect général rappelait le S-55, mais dont les dimensions avaient été considérablement augmentées. Doté de trois moteurs de 600 ch puis de 700 ch, il pouvait emporter quatorze passagers. Les vingt exemplaires construits furent mis en service par la compagnie Ala Littoria sur les lignes Rome-CagliariTripoli et Rome-Athènes-Alexandrie.

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le Savoia-Marchetti SM-74, premier quadrimoteur de transport construit en 1934 par la firme de Sesto Calende. Le fuselage reprenait /es grandes lignes du type S-71, et la voilure s'inspirait de celle du S-72, trimoteur de bombardement destiné à la Chine. L'appareil emportait de vingt à vingt-sept passagers à 300 km/h
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Entre-temps, Marchetti avait encore élaboré quelques projets, qui, bien que prometteurs, n'eurent pas de succès. Ainsi, le S-65 de 1929 destiné à la compétition; ce monoplan à aile basse était équipé de deux flotteurs et de deux moteurs Isotta Fraschini de 1 000 ch (montés à l'avant et à l'arrière de la nacelle du pilote), qui devaient lui permettre d'atteindre 644 km/h.
Le 18 janvier 1930, lors d'un vol d'essai, il capota en amerrissant sur le lac de Garde : l'appareil fut détruit, et son pilote, le célèbre Dal Molin, trouva la mort dans l'accident. De même le S-67, un hydravion de chasse monoplan équipé, comme le S-55, d'un moteur de 400 ch fixé par des pylônes au-dessus de la nacelle, ne dépassa pas le stade des essais (1930).
Le S-67 mit un point final aux études de Marchetti dans le domaine des hydravions. Il y revint toutefois avec le S-66 de 1933 et le S-80, appareil de tourisme amphibie monocoque bimoteur, avant de se consacrer exclusivement aux avions terrestres, domaine dans lequel il avait fait une incursion dès 1927.

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le SM-73, premier transport commercial trimoteur à aile basse de la SIAI-Marchetti, emportait dix-huit passagers. Son développement conduisit à l'élégant SM-75, à train escamotable et moteurs profilés
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A cette date, Marchetti avait en effet réalisé 1e S-64, un appareil de records aux lignes extrêmement pures, dont les deux tiers du poids étaient constitués par 1e carburant; son moteur Fiat A-22 T de 990 ch était placé au-dessus de la nacelle et reposait sur des pylônes en N.
C'est à bord de cet appareil que, 1e 1er juin 1928, le capitaine Ferrarin et le major Del Prete établirent un record du monde de distance en circuit fermé en couvrant 7 667 km en 58 h 53 mn 15 s. Le S-64 s'octroya un nouveau record de distance en atterrissant au Brésil au terme d'un vol de 7 189 km et connut le couronnement de sa carrière en améliorant son premier record en mai 1930.
La longue lignée des trimoteurs
En 1931 décolla pour la première fois 1e S-71, qui devait donner naissance à une lignée célèbre d'appareils de transport trimoteurs. Ce monoplan à aile haute destiné au transport de dix passagers était équipé de trois moteurs radiaux Walter Castor de 240 ch, entraînant des hélices bipales à pas variable, et pouvait voler à 270 km/h. Employé par Ala Littoria sur son réseau national, le S-71 conquit un record du monde d'altitude en atteignant
6 540 m avec une charge de 2 t.
Le S-73, qui effectua son premier vol 1e 4 juillet 1934, piloté par Adriano Bacula, fut le premier avion italien gros porteur à aile basse cantilever. Selon un principe de motorisation qui deviendra cher à Marchetti, il était doté de trois propulseurs, en l'occurrence des Piaggio Stella IX RC de 700 ch.
Conçu pour emporter dix-huit passagers et quatre hommes d'équipage, plus 360 kg de bagages, dans des conditions de confort jusqu'alors inconnues, 1e S-73, qui avait une vitesse maximale de 330 km/h et une vitesse de croisière de 280 km/h sur 1 600 km, fut produit par la firme italienne à quarante-huit exemplaires, auxquels s'ajoutèrent les dix unités construites sous licence en Belgique par SABCA.
Ils furent employés par les compagnies italiennes Ala Littoria et Avio Linea Italiana, mais aussi sur des lignes belges et tchécoslovaques. Lors de l'entrée en guerre de l'Italie, treize d'entre eux formèrent les 605e et 606e Squadriglie du 148e Gruppo Transporto, jouant à bien des égards un rôle identique à celui des Ju-52/3m allemands.
Le S-74, quadrimoteur à aile haute pour vingt-deux passagers, fut construit à trois exemplaires, mis en service sur les lignes de prestige d'Ala Littoria.

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Les trimoteurs SM-75, appareil de commerce de grandes dimensions emportant de vingt-quatre à quarante passagers, et SM-83, qui devait à son autonomie d'être capable de vols transatlantiques, furent réalisés en 1937.
Ils étaient les premiers appareils de la lignée à bénéficier des principales innovations techniques de l'époque, dont 1e train d'atterrissage rétractable.
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autre dérivé, le SM-81 fut le premier trimoteur du même type spécifiquement étudié à des fins militaires.Il fut largement employé pendant la guerre d'Espagne et au cours de la Seconde Guerre mondiale
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L'expérience acquise avec la réalisation de cette série d'avions civils permit à Marchetti de fournir à la Regia Aeronautica les appareils de transport et de bombardement les plus fiables qui seront engagés en opérations dans les combats de la Seconde Guerre mondiale.
A la veille de la guerre, la société SavoiaMarchetti, ayant accru sa capacité de production dans 1e cadre de la restructuration de l'industrie aéronautique italienne, se trouvait en mesure de répondre aux besoins des militaires. Outre l'établissement de Sesto Calende, qui employait alors plus de 5 000 personnes, la firme possédait une filiale à Borgo Maneno, soit au total 50 000 m2 de surfaces couvertes.
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