SAINT-EXUPÉRY
Défricheur de lignes aériennes sur l'Afrique et l'Amérique du Sud, pilote et écrivain, Saint-Exupéry trouva dans l'aviation les fondements de son oeuvre littéraire
Issu d'une famille de vieille noblesse limousine, Antoine de Saint-Exupéry vit le jour avec le siècle, le 29 juin 1900. La dernière de ses soeurs, cadette de cinq enfants, n'était pas encore née lorsque son père succomba, en mars 1904, à une congestion cérébrale.
La famille fut accueillie par une grand-tante maternelle, Gabrielle de Tricaud. Saint-Exupéry passa donc une partie de sa jeunesse entre Lyon et Saint-Mauricede-Rémens (Ain), où résidait Mme de Tricaud.
L'ambiance familiale, la complicité existant entre les enfants et les adultes, le charme quelque peu suranné des lieux qu'il fréquentait, la place accordée aux choses de l'art influèrent fortement sur la sensibilité du jeune Antoine et furent pour lui une source d'inspiration. Cette « provision de douceur », selon ses propres termes, a donné naissance à une oeuvre telle que Le Petit Prince, dans laquelle il évoque le monde merveilleux de
l'enfance.
C'est également à Saint- Maurice-de-Rémens que Saint-Exupéry fit connaissance avec ce qui allait devenir l'une des grandes passions de sa vie : l'aviation. La relation des exploits des pionniers de l'aéronautique avait frappé son imagination.
La création sur le papier d'étranges machines volantes et l'adaptation d'une voilure sur une bicyclette ne purent tempérer longtemps son enthousiasme. Malgré les défenses qui lui étaient faites, on le vit bientôt rôder sur le terrain d'aviation qui avait été aménagé à quelques kilomètres de la résidence de Mme de Tricaud. La chance lui sourit en juillet 1912, quand le pilote
Gabriel Wroblewski-Salvez lui donna le baptême de l'air sur l'aérodrome d'Ambérieu. Les quelques minutes de vol qu'effectua le jeune garçon en sa compagnie enivrèrent celui-ci et lui laissèrent un souvenir impérissable.
Seuls témoins de cette émotion, quelques vers d'un poème qu'il écrivit à cette occasion : « Les ailes frémissaient sous le souffle du soir / Le moteur de son chant berçait l'âme endormie / Le soleil nous frôlait de sa couleur pâlie.
En 1909, Saint-Exupéry quitta Saint- Maurice-deRémens pour s'installer au Mans. Après avoir suivi jusque-là les cours d'un externat lyonnais, il dut se plier à la discipline d'un collège de jésuites.
Élève intelligent, extrêmement doué pour le français, le dessin, mais aussi pour les mathématiques, il laissa dans les divers établissements qu'il fréquenta le souvenir d'un enfant rêveur, peu méthodique dans son travail et surtout extraordinairement désordonné.
Ayant obtenu son baccalauréat à dix-sept ans, Saint-Exupéry, resté le seul garçon de la famille après la mort de son frère François, décida, malgré l'attrait qu'il éprouvait toujours pour les choses de l'air, d'opter pour la marine afin de ne pas inquiéter sa mère en choisissant une carrière qui passait, à juste titre d'ailleurs, pour dangereuse.
Mais le sort devait en décider autrement, car lui, le mathématicien émérite, échoua au concours d'entrée à l'École navale. Touché par la limite d'âge (il avait alors vingt ans), il dut choisir une autre voie, et c'est ainsi qu'il s'inscrivit aux Beaux-Arts, section Architecture.
Sans fortune, voyant son avenir compromis, SaintExupéry traversa alors l'une des périodes les plus noires de son existence, et c'est avec soulagement qu'il vit arriver le temps du service militaire, d'autant que son affectation au 2e régiment d'aviation de Strasbourg (2 avril 1921) comblait ses rêves les plus fous.
Malgré la modicité de ses ressources, il décida de prendre des cours de pilotage auprès de la société d'aviation civile qui partageait le terrain avec les militaires.
Si elle lui valut huit jours d'arrêts, une exhibition particulièrement spectaculaire qu'il effectua au-dessus du casernement lui permit aussi d'obtenir des autorités militaires l'autorisation de poursuivre un entraînement intensif.
Affecté au 37e régiment d'aviation de Rabat, il y effectua son premier vol en double commande le 18 juin 1921 avant d'être lâché sur Sopwith le 9 juillet suivant. Le 23 décembre il passait avec succès les épreuves du brevet militaire n° 19398).
Après avoir subi un complément d'instruction à Avord (il y fut nommé sous-lieutenant de réserve), Saint-Exupéry revint au Bourget, où il fut victime d'un très grave accident sur Hanriot HD-14. Du fait d'un incident mécanique survenu en plein vol à l'appareil qu'il pilotait, celui-ci s'écrasa dans un terrain vague, et, dans les débris de l'avion, on trouva l'aviateur inanimé, souffrant de plusieurs fractures du crâne.
Le chemin de la « Postale »
Rendu à la vie civile, il exerça divers métiers et, grâce aux amis qu'il comptait dans les milieux littéraires, put enfin publier une de ses nouvelles, qui parut dans Le Navire d'argent en 1926. La même année, il décrocha son brevet de pilote de transport public n° 0933). Sur la recommandation d'un de ses anciens professeurs, il put obtenir un poste qui répondait pleinement à ses aspirations.
Engagé le 14 octobre 1926 par le marquis Beppo De Massimi, administrateur des Lignes Latécoère, Saint-Exupéry sut, après avoir subi la traditionnelle épreuve du stage de mécanicien, conquérir l'estime de Didier Daurat, qui lui confia les commandes d'un des Breguet 14 de la ligne Toulouse
Casablanca, puis Casablanca-Dakar, avant de le nommer à la tête de l'aérobase de Cap-Juby, l'une des étapes obligatoires de la Ligne, aux portes du désert. « Saint-Ex » donna toute sa mesure à ce poste difficile, où il lui fallut affronter non seulement la mauvaise volonté des Espagnols, mais aussi l'hostilité des tribus indigènes, en pleine dissidence.
Par son attitude, faite de respect et de fermeté, il gagna la confiance des chefs maures et mena à bien la mission qui lui avait été assignée en ces termes laconiques : « Prendre contact avec le gouvernement espagnol, porter secours à tout aviateur en danger à n'importe quelle heure, par n'importe quel temps, à n'importe quel endroit du désert. »
De fait, pendant les dix-huit mois qu'il passa à Cap-Juby, Saint-Exupéry vint à quatorze reprises en aide à des aviateurs tombés en panne. Son action dans le domaine du sauvetage conjuguée à son oeuvre pacificatrice lui valurent d'être fait chevalier de la Légion d'honneur, le 7 avril 1930.
Le destin de Saint-Exupéry devait rester un long moment lié à celui de l'Aéropostale, puisque, une fois déchargé de ses fonctions, il reprit du service comme pilote sur la ligne africaine. Pour être effectués sur des appareils plus modernes, ces voyages n'en étaient pas moins dangereux, d'autant que la pratique du vol de nuit, inaugurée par Jean Mermoz, se généralisait.
Une nuit, alors qu'il était perdu dans le désert, SaintExupéry, privé de points de repère, eut l'idée de demander à l'aérodrome le plus proche d'émettre des signaux lumineux codés qui se distingueraient ainsi du scintillement des étoiles, méthode qui est toujours employée de nos jours.

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Photographiés au Bourget en décembre 1935, ( Saint-Ex ) et son mécanicien Prévost devant le Caudron ( Simoun ) F-ANRY avec lequel ils tentèrent de battre le record de vitesse Paris-Saigon. L'aventure s'acheva au coeur du désert libyen dans la nuit du 30 au 31 décembre
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C'est au cours de son séjour africain qu'il mit un point final au manuscrit de son premier livre, CourrierSud, dans lequel il retrace l'épopée des bâtisseurs de la Ligne et évoque les sentiments que lui a inspirés la découverte du désert. L'ouvrage fut publié en 1929, alors que son auteur quittait le Sahara.
Le 12 octobre de cette même année, il rejoignait à Buenos Aires Mermoz et Guillaumet, qui travaillaient à la création de nouvelles liaisons en Amérique du Sud. Nommé chef pilote de l'Aeroposta Argentina, SaintExupéry, développant une activité considérable, dans des conditions pénibles et parfois dangereuses, prolongea la Ligne jusqu'en Patagonie, et, à ses moments perdus, écrivit son deuxième livre, Vol de nuit, qui obtint le Prix Fémina
en décembre 1931.
Pilote d'essai, pilote de raid
Au mois de mars précédent, l'Aéropostale, victime de frauduleuses manoeuvres politiques et financières, avait été mise en liquidation judiciaire. Par fidélité à Didier Daurat, Saint-Exupéry ne pouvait que démissionner. Après avoir, une fois de plus, « mangé de la vache enragée », il entra chez Latécoère comme pilote d'essai, situation qui lui permit de découvrir une nouvelle facette du métier d'aviateur.
En décembre 1933, alors qu'il essayait un hydravion Laté.29/3 sur le plan d'eau de Saint-Raphaël, l'appareil, dont une aile s'était détachée, s'abîma en mer, et son pilote n'échappa que par miracle à la noyade. Bien qu'il appréciât la possibilité qui lui était offerte de voler et que le métier exerçât sur lui une certaine fascination, Saint-Exupéry se lassa rapidement de la vie sédentaire qu'il l'obligeait à mener.
C'est donc avec joie qu'il accepta d'entrer au service des relations extérieures d'Air France. Chargé de missions de propagande en France et à l'étranger, il organisa une tournée de conférences qui le mena aux quatre coins du bassin méditerranéen. Mais un projet plus ambitieux naquit bientôt dans son esprit : tenter de battre, sur son Caudron « Simoun » (F-ANRY), le record de vitesse sur le trajet Paris-Saigon.
Accompagné du mécanicien Prévost, il décolla le 29 décembre 1935, mais l'aventure se termina dans le désert de Libye, où l'appareil s'écrasa. Les deux hommes furent recueillis au bout de cinq jours, épuisés et mourant de soif. Après avoir réalisé pour le compte de L'Intransigeant un reportage sur la guerre civile espagnole (août 1936), SaintExupéry mit sur pied, avec l'assentiment du ministère de l'Air, un projet de raid New York-Terre de
Feu, sur un nouveau Simoun (F-ANXK).
Début janvier 1938, en compagnie du fidèle Prévost, il embarqua donc à bord du paquebot Ile-de-France pour gagner les États-Unis, d'où il décolla le 15 février. Mais, cette fois encore, l'avion, surchargé, s'écrasa au décollage le lendemain, lors de l'escale du Guatemala. Souffrant de sept fractures du crâne, le poignet brisé, SaintExupéry fut transféré aux États-Unis, où il se rétablit avec difficulté.
II mit à profit son long séjour à l'hôpital pour terminer Terre des hommes, qu'il avait commencé plusieurs années auparavant. Ce livre devait obtenir, tant en Amérique (où il fut publié sous le titre de Wind, Sand and Stars) qu'en France, un immense succès et valut à son auteur le Prix du roman de l'Académie française en 1939.

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En 1929, Saint-Exupéry, alors chef pilote à la compagnie Aeroposta Argentina, retrouva Guillaumet à Buenos Aires. Une profonde amitié unissait les deux hommes, qui disparurent tous deux au-dessus de la Méditerranée à quelques années d'intervalle
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« Saint-Ex » le guerrier
Quand la guerre éclata en Europe, Saint-Exupéry rejoignit, avec le grade de capitaine, la base de Toulouse-Montaudran. Malgré l'avis des médecins, qui le jugeaient inapte au combat à cause de son âge et de ses blessures, et malgré l'activité de ses amis, qui se démenaient pour qu'il fût versé au service de l'information, il insista pour être affecté dans une unité opérationnelle.
Ayant obtenu gain de cause, il rejoignit, le 3 novembre, le groupe de reconnaissance 11/33 sur Potez 63/11, qui fut engagé intensivement et subit de très lourdes pertes durant la drôle de guerre puis pendant la bataille de France. Du 29 mars au 9 juin 1940, Saint-Exupéry effectua pour sa part sept missions de guerre, dont l'une, accomplie au-dessus d'Arras le 22 mai, lui valut de recevoir la croix de guerre avec palmes.
Démobilisé après l'armistice et supportant difficilement l'atmosphère de la France occupée, il partit pour New York. C'est là qu'il écrivit Pilote de guerre, qui, publié aux États-Unis sous le titre Flight to Arras, fut célébré par la critique comme la réponse des démocraties au Mein Kampf de Hitler.

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( Saint-Ex ) pilote de guerre. Mobilisé aux États-Unis en 1943, il parvint à se faire affecter en unité combattante et retrouva en Afrique du Nord le groupe de reconnaissance GR-11/33, alors sur P-38 Lightning, au sein duquel il avait combattu pendant la bataille de France
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Quand le groupe 11/33 fut reconstitué en Afrique du Nord, Saint-Exupéry obtint, au prix de multiples démarches, de rejoindre son ancienne unité. II la retrouva à Oujda en mai 1943, et c'est sur P-38 Lightning qu'il effectua sa première sortie au-dessus de la France occupée, le 21 juillet. Depuis le mois de juin précédent, il arborait les galons de commandant.
Mais, interdit de vol du fait de son âge et mis en disponibilité contre son gré, Saint-Exupéry dut bientôt regagner Alger, où il se consacra à la rédaction de Citadelle, tout en faisant des pieds et des mains pour tenter de reprendre du service.
Finalement, le général Faker l'autorisa à reprendre le combat dans le cadre du 11/33, à condition toutefois qu'il n'effectuât pas plus de cinq missions de guerre. Passant outre à ces instructions, il réussit néanmoins à accomplir neuf sorties au-dessus des territoires occupés.
Le 31 juillet 1944, il décolla du terrain de Bastia (Corse) pour son dixième vol, qui devait le mener au-dessus de Grenoble et d'Annecy. Il ne revint pas, et le mystère de sa disparition a été élucidé il y a peu de temps, son P 38 git au fond de la mer près de Cassis. Il totalisait 6 500 heures de vol.
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