LE GÉNÉRAL VOLANT
Le général Vuillemin a profondément marqué l'histoire de l'aéronautique militaire française pendant plus de vingt ans
Né à Bordeaux le 14 mars 1883, Joseph Vuillemin est sans doute la figure la plus représentative de l'aviation militaire française de l'entre-deux-guerres, mais son nom n'en est pas moins indissociable de l'épopée de l'Aéronautique militaire au cours de la Première Guerre mondiale.
Issu d'une famille bourgeoise, le futur commandant en chef de l'armée de l'Air obtint son baccalauréat avant d'être incorporé dans l'armée, au mois de novembre 1904.
Au terme de son service militaire, le maréchal des logis Vuillemin, attiré par la carrière des armes et par l'artillerie, décida de devenir officier et de préparer l'École militaire de l'artillerie et du génie, alors située à Versailles. Devenu élève-officier en octobre 1909, il passa de garnison en garnison et connut la morne existence à laquelle semblaient condamnés tous les cadres métropolitains à l'époque.
Cette perspective ne souriait guère au jeune officier, qui, dès le départ, s'était révélé comme un homme d'action et qui, depuis 1910, ne rêvait que de voler. Aussi, quand il apprit que l'armée recherchait des volontaires pour servir dans la nouvelle arme, il n'hésita pas longtemps.
En 1913, Vuillemin demanda à effectuer un stage d'observateur au camp de Châlons, vola sur biplan Farman, profitant des circonstances pour accomplir, en cachette, des tours de terrain à bord d'un monoplan Antoinette. C'est alors qu'il décida de devenir pilote aviateur et qu'il en fit la demande par la voie hiérarchique.
N'obtenant aucune réponse, Vuillemin se résigna à faire intervenir un député de sa connaissance, dont les démarches se concrétisèrent, le 5 juin 1913, par l'affectation du jeune Bordelais dans l'Aéronautique militaire.

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Le capitaine Vuillemin, commandant de l'escadrille C.11, au départ d'une mission en 1916, à bord de son Caudron G-4, frappé de la fameuse cocotte H
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La Grande Guerre
Après un stage d'instruction théorique effectué à Versailles, Joseph Vuillemin rejoignit l'école Caudron du Crotoy, où il s'initia au vol sur Caudron G.2. Il n'obtint cependant son brevet (N° 287) qu'au bout de plusieurs tentatives et après s'être luxé une épaule à la
suite d'une panne de moteur. L'officier ne passa que peu de temps dans la première escadrille - la C.11 - où il fut nommé. Jugé apte à remplir les fonctions de moniteur, il fut dirigé vers l'école Caudron de Reims dès le mois de mars 1914, et c'est là qu'il rencontra le capitaine Brocard, futur commandant de l'escadrille des Cigognes.
Quand la guerre éclata, le centre de Reims se trouva dispersé et donna naissance à une nouvelle escadrille, la CM (Caudron monoplace), qui fut rattachée à la Ve armée. L'activité de Vuillemin pendant la bataille des frontières et celle de la Marne, et les risques qu'il encourut à plusieurs reprises lui valurent, en septembre 1914, de recevoir la croix de chevalier de la Légion d'honneur.
Désigné pour assurer les essais du nouveau biplan Caudron G.4 au Bourget, il fit un court séjour à l'escadrille C.39 avant de passer au grade de capitaine et d'être affecté au commandement de l'escadrille C.11, stationnée dans la région fortifiée de Verdun. Chargée d'accomplir des missions de reconnaissance et d'observation au profit d'un corps d'armée, l'escadrille C.11, dotée de Caudron G.3 puis G.4, passa tout le reste de l'année 1915
à sillonner le ciel au-dessus des lignes allemandes sous les attaques de l'aviation ennemie ou le feu de la défense antiaérienne.
La situation empira au mois de février 1916, quand, les Allemands lancèrent leur grande offensive contre Verdun. Vuillemin combattit à plusieurs reprises des aéroplanes adverses, obligea un Fokker à se poser près du village de Marcheville, dans la plaine de la Woëvre, le 30 mars, et fut blessé au genou quelques jours plus tard.
Toujours avec la C.11, il prit part à la bataille de la Somme, entre juillet et décembre 1916. Crédité de trois appareils allemands et de soixante combats, il reçut la croix d'officier de la Légion d'honneur des mains du général Duchêne, commandant du 2e corps d'armée, le 6 novembre 1916.
Moins d'un an plus tard, après avoir combattu au-dessus du Chemin des Dames et de l'Argonne, Vuillemin quittait la tête de la C.11 pour prendre la direction du groupe de bombardement N° 5 ou GB.5. Les méthodes qu'il mit au point et les procédés tactiques qu'il développa l'amenèrent, en février 1918, à prendre la tête de l'escadre 12, constituée des groupes de bombardement 5, 6 et 9, sur Breguet XIV.
Ayant quitté Ochey peu après sa formation pour s'installer en Champagne, cette escadre se trouva rattachée à la Ire division aérienne, créée en mai 1918 par le général Duval, aide-major au grand quartier général.
Nommé commandant depuis sa prise de fonctions à l'escadre 12, Joseph Vuillemin lança ses groupes de bombardement dans des centaines de missions, au cours desquelles ils larguèrent 1 000 t de bombes, tirèrent 400 000 cartouches, livrèrent deux cents combats et abattirent une centaine d'avions ennemis.

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Sous la direction du général Vuillemin, alors commandant de l'aviation au Maroc, trente équipages de l'armée de l'Air, sur Potez 25 TOE, décollèrent d'Istres le 8 novembre 1933 pour un périple de 22 400 km à travers les possessions françaises d'Afrique
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Du Sahara à Riom
Quand la guerre prit fin, Vuillemin avait depuis peu (le 21 octobre 1918) été cité pour la seizième fois. Stationnée à Ochey et en partie au Bourget, l'escadre 12 partit en occupation en Allemagne en avril 1919 avec un chef qui, déjà, était hanté par le démon du raid.
Et de fait, quatre mois plus tard, accompagné d'un autre appareil piloté par Dagnaux, le commandant Vuillemin accomplissait en 66 h 30 mn un parcours de 8 300 km qui le mena de Villacoublay au Caire en passant par Constantinople, puis de la capitale égyptienne à son point de départ en transitant par Naples. Ensuite, le nom de l'ancien commandant de l'escadre 12 se trouva associé à la première tentative de traversée aérienne du Sahara sur
Breguet XIV - tentative qui se termina tragiquement par la mort du général Laperrine en 1920 - et au régiment d'aviation, qu'il commanda jusqu'en 1925.
Promu lieutenant-colonel en mars 1924, il accepta de prendre part à une expédition aérienne visant à la prospection d'itinéraires vers le Tchad et l'Oubangui dans la perspective de rallier par la suite Madagascar. Dirigé par le général de Goys, ce raid devait être accompli par deux Blériot 115 baptisés Jean Casale et Roland Garros. En fait, il fut interrompu le 10 février 1925, quand le Jean Casale, piloté par Joseph Vuillemin, s'écrasa
sur le terrain de Niamey; souffrant d'une fracture du crâne, l'aviateur resta plusieurs jours dans le coma.
Une fois rétabli, il effectua une mission en Tchécoslovaquie avant de prendre le commandement de l'aviation en Algérie. Les sept ans durant lesquels il occupa ce poste, Vuillemin se consacra à la pénétration saharienne et, au terme de ce séjour, en 1932, se trouva placé à la tête de l'aviation du Maroc.
Un an plus tard, les étoiles de général de brigade venaient récompenser les innombrables services qu'il avait rendus à l'aviation. Mais c'est dans le cadre de la fameuse Croisière noire, menée par toute une escadre de Potez 25 TOE (novembre 1933 - janvier 1934), que le général Vuillemin réussit le plus bel exploit de sa carrière africaine.
Le grand tournant de sa carrière se situe en novembre 1934, date à laquelle il devint inspecteur de l'aviation de bombardement; dès lors, il consacra toute son énergie à la réorganisation de ce qu'on nommait alors l'aviation lourde de défense. Hostile à la doctrine du BCR, l'avion à tout faire, Vuillemin, devenu général de division en octobre 1936, préconisait l'adoption d'appareils spécialisés.
Quand, en février 1938, le ministre de l'Air Guy La Chambre l'investit des fonctions de chef d'état-major général de l'armée de l'Air, l'Europe était sur le point de vivre une grave crise, l'annexion de l'Autriche par Hitler, et la France se préparait à lancer un nouveau programme de réarmement aérien. Ce qu'il vit de la puissance de la Luftwaffe - même si l'on dit souvent qu'il fut abusé par les Allemands - convainquit Vuillemin de la nécessité
d'accélérer le développement de l'armée de l'Air.
Dès la déclaration de guerre, le général Vuillemin, installé dans son quartier-général de Saint-Jean-lesDeux-Jumeaux et nommé commandant en chef des forces aériennes, entreprit de réformer certaines des structures de l'armée de l'Air tout en rénovant son matériel.
Il n'en reste pas moins qu'au moment de l'offensive allemande à l'ouest celle-ci se trouvait encore en pleine réorganisation et qu'elle ne disposait pas d'avions nouveaux en quantité suffisante pour faire face à la Luftwaffe. L'action du général Vuillemin pendant ces quarante jours de combat fut, on le sait, vivement critiquée a posteriori.
II faut cependant préciser que le commandant en chef des forces aériennes essaya, chaque fois que cela lui fut possible, d'appliquer les principes de la concentration des moyens, c'est-à-dire de lancer des actions de masse. Mais tout s'opposait à une telle conception de la conduite de la bataille : la doctrine d'emploi de l'aviation française et le caractère inadapté du matériel.
Nommé inspecteur général de l'armée de l'Air après la dissolution du grand quartier général aérien, le 25 juin 1940, le général Vuillemin resta quelque temps commandant des forces aériennes pendant les événements de Mers el-Kebir, puis fut mis en congé du personnel navigant à dater du ler octobre 1940.
Installé en Afrique du Nord, il revint en France apporter son témoignage lors du procès de Riom avant de prendre, avec le grade de lieutenant-colonel, le commandement du groupe de bombardement « Bretagne » (1943). Il ne retrouva son grade de général d'armée aérienne qu'en 1945 et se retira au Maroc.
Il s'éteignit le 23 juillet 1963, à Lyon, terrassé par une crise cardiaque.
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